Après quatre mois à s'accrocher au pouvoir de toutes ses forces, déserté par son chef d'état-major, l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo était dans ces derniers retranchements hier. Son rival, Alassane Ouattara, reconnu président légitime par la communauté internationale, le sommait de se rendre. Comment expliquer la chute soudaine de l'homme fort de la Côte d'Ivoire après des mois d'entêtement et à quoi peut-on s'attendre après son départ? Réponses de Rinaldo Depagne, expert de l'Afrique du l'Ouest au International Crisis Group.

Question:  La semaine dernière, on avait l'impression que le président sortant Laurent Gbagbo était toujours en position de force et imposait sa loi en Côte d'Ivoire. Hier, il était encerclé. Quel a été le tournant de ce conflit?

Réponse: Déjà, la semaine dernière, Laurent Gbagbo était dans une situation difficile. Il a grandement souffert des sanctions économiques de l'Union européenne et des États-Unis. Peu à peu, il n'avait plus les moyens de faire vivre les piliers de son pouvoir, soit l'administration et l'armée. Il y a eu aussi un renversement diplomatique. L'Angola et l'Afrique du Sud, qui soutenaient Gbagbo, ont changé de cap et se sont alignés sur la position des autres pays de l'Afrique de l'Ouest, qui demandaient son départ. Pour un grand pays comme l'Afrique du Sud, c'était devenu intenable de soutenir un Laurent Gbagbo qui engageait des mercenaires et mettait en place une stratégie de terreur pour éviter que ses opposants manifestent dans la rue.

Q. Quel a été l'impact de la défection hier du chef d'état-major de Gbagbo?

R. Ce qui a fait plus mal, c'est la défection d'une partie de l'armée avant la défection du chef d'état-major, hier. Depuis un mois, dans l'armée, on voyait déjà des passages du camp de Gbagbo à celui de Ouattara. Il y a eu aussi beaucoup de désertions, surtout lundi et mardi. Plusieurs se sont dit: pourquoi mourir pour une cause perdue? Le chef d'état-major lui est parti parce qu'il a réalisé qu'il est trop tard.

Q. À quoi doit-on s'attendre maintenant?

R. Il y a trois scénarios. Le premier, c'est que Gbagbo démissionne et négocie sa sortie. Le deuxième est que le clan Ouattara rentre dans un Abidjan déserté et que quelques jours plus tard, il y ait des échanges de tirs. Le troisième et c'est le pire, c'est qu'il y ait des combats, qu'on utilise des armes lourdes dans Abidjan. Les plus extrémistes du clan Gbagbo préfèrent voir Abidjan (la capitale économique) détruit, plutôt que de voir «le diable», le musulman Alassane Ouattara, prendre le pouvoir. Il y a dans les rangs de Gbagbo beaucoup de born again Christians qui pensent que le pouvoir leur a été donné par Dieu».

Q. Une fois Gbagbo parti, peut-on s'attendre au retour de la paix?

R Ce n'est pas parce qu'Alassane Ouattara va prendre le pouvoir que les problèmes de la Côte d'Ivoire seront réglés. J'espère que Ouattara ne fera pas la même erreur que Gbagbo en essayant de gouverner seul. Il a gagné les élections en s'alliant avec le PDCI, l'ancien parti unique. Il a été protégé militairement par les Forces nouvelles. Il devra les prendre en compte sans oublier le parti de Gbagbo, qui a remporté 38% des voix aux élections. Il a d'abord un travail d'union politique et de réunification du pays à faire. Un des problèmes majeurs de ce pays est qu'il est coupé en deux depuis huit ans (Nord musulman, Sud chrétien). Ce sera beaucoup de travail.