Le marché tout proche, d'ordinaire grouillant, est l'ombre de lui-même mais la plus grande gare routière d'Abidjan ne désemplit pas. La peur au ventre, on s'y presse pour quitter la ville car, lâche un homme dans la foule, «si ce n'est pas la guerre, ça y ressemble».

À la gare d'Adjamé, dans le nord de la métropole ivoirienne, Odile Kouakou veut aussi monter dans un car et partir. «Je n'aime pas les bruits», dit à l'AFP cette jeune maman d'un air las. Assise par terre, elle s'appuie sur la montagne de sacs, de valises et de baluchons qu'elle, ses enfants et sa mère emportent.

Les «bruits», ce sont ceux des kalachnikov, des roquettes ou des obus devenus en un mois quasi-quotidiens dans la capitale économique, alors que s'envenime la crise post-électorale entre le chef d'Etat sortant Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, président reconnu par la communauté internationale.

Selon l'ONU, plus de 500 000 personnes ont déjà fui leur maison dont une grande part à Abidjan où les scènes d'exode le long des routes sont à présent presque banales.

Du matin au soir, depuis plusieurs jours et malgré l'augmentation subite des tarifs, les Abidjanais se ruent par milliers vers la gare routière d'Adjamé, où les autocars les conduisent vers le centre du pays: la capitale politique Yamoussoukro et Bouaké, fief de l'ex-rébellion pro-Ouattara qui contrôle la moitié nord depuis 2002.

«Je m'en vais au village, à Sakassou», en zone nord, précise Odile, les traits tirés. «Ça fait trois jours» que cette commerçante attend de pouvoir quitter Abidjan, une ville que les Ivoiriens et l'Afrique de l'Ouest regardent depuis toujours comme un eldorado et que beaucoup ne songent plus désormais qu'à fuir.

«On a peur d'Abidjan maintenant. Les gens tuent», confie Fatoumata, qui renvoie ses enfants au Mali, via Bouaké. «Ma soeur a été tuée par une balle perdue. On est fatigués!», lance-t-elle, presque en criant.

Certains parlent confusément de tueries, des «tirs», mais d'autres accusent les forces de l'ordre fidèles au régime ou ses partisans.

Vigile depuis peu au chômage à cause de «la situation» du pays, Albert a pris peur quand Charles Blé Goudé, leader des «jeunes patriotes» pro-Gbagbo, a appelé le week-end dernier la jeunesse à s'enrôler dans l'armée pour chasser les «bandits», alors que des insurgés pro-Ouattara menacent le pouvoir à coup d'embuscades et d'attaques à Abidjan.

Et même si pour l'heure, aucun de ces jeunes ne s'est vu remettre d'arme, c'en est assez pour le sexagénaire: «je cherche à évacuer ma femme, mes enfants et mes soeurs».

Pour Salimata, employée de maison burkinabè, la vie est restée normale pendant quelques semaines dans son secteur des «220 logements», à Adjamé. Mais peu à peu des parents venus des quartiers de Yopougon (ouest) et d'Abobo (nord), au coeur de la bataille, «ont couru» se réfugier dans la concession familiale, dit-elle. Puis aux «220» aussi il y a eu finalement «trop de tirs».

«Tous les voisins sont partis», raconte-t-elle avant de faire monter sa mère et une vingtaine de membres de sa famille dans un mini-car loué pour une fortune (450 000 FCFA, près de 1000$ CAN), vu ses maigres revenus. Direction: Bouaké, puis le Burkina.

Mais pendant que des Abidjanais favorisés s'envolent pour le Togo, le Ghana ou l'Europe, les moins chanceux n'ont pas trouvé le moyen de partir ou n'ont pas de point de chute.

Kassoum est l'un d'eux. Il traîne sa silhouette massive entre les femmes et les gamins qui attendent sous le soleil à la gare routière. «Je ne peux pas m'échapper. Je n'ai pas de solution».