Abidjan s'enfonçait vendredi dans une spirale meurtrière au lendemain du massacre de près de 30 civils perpétré selon l'ONU par les forces armées fidèles au président sortant Laurent Gbagbo, qui ont démenti toute implication et dénoncé un «complot».

Jamais depuis la mi-février, quand la crise post-électorale a débouché sur des combats, la métropole ivoirienne n'avait connu une si lourde atmosphère. Nombre d'habitants jugent imminente une déflagration générale, alors que le quartier d'Abobo a été de nouveau la cible dans la nuit de jeudi à vendredi de tirs à l'arme lourde, ont rapporté à l'AFP plusieurs habitants.

«Vers minuit (locale et GMT), on a entendu des tirs d'arme lourde. On s'est mis sous le lit, à même le sol, de peur d'être tués», a raconté une habitante. Aucun bilan n'était immédiatement disponible.

Le ministère de la Défense, à la limite du quartier du Plateau qui abrite le palais présidentiel, a été la cible d'une attaque «rebelle», selon la radio-télévision d'Etat, qui a fait état de «12 morts» parmi les assaillants.

Six corps étaient étendus dans la matinée dans les environs, a constaté l'AFP.

Vendredi matin, beaucoup d'Abidjanais avaient une nouvelle fois préféré rester chez eux: les véhicules étaient rares sur les grands axes habituellement engorgés, et des commerces étaient fermés. Certains habitants étaient allés faire des provisions, dans l'angoisse des prochains jours.

L'attaque à l'arme lourde de jeudi sur Abobo, fief électoral d'Alassane Ouattara - reconnu président ivoirien par la communauté internationale - largement contrôlé par les insurgés, a fait monter la tension entre le gouvernement Gbagbo et l'ONU.

Selon la mission de l'ONU dans le pays (Onuci), cette attaque a été menée par «les forces armées du camp» Gbagbo et a fait 25 à 30 morts et entre 40 et 60 blessés.

Ce massacre pourrait constituer un «crime contre l'humanité», a indiqué un porte-parole du Haut commissariat de l'ONU aux droits de l'homme.

Mais le gouvernement Gbagbo a dénoncé «un vrai complot». «C'est clair et net, il y a une synergie entre l'ONU, la France, les rebelles contre la Côte d'Ivoire», a déclaré à l'AFP le porte-parole Ahoua Don Mello.

«Ce jeudi 17 mars, Abobo n'était pas un théâtre d'opération pour les forces régulières. C'est une zone qui est actuellement partagée entre deux factions rebelles avec des intentions très contradictoires», a-t-il dit.

Le gouvernement Gbagbo réclame depuis fin 2010 le départ de la mission onusienne et de la force française Licorne qui l'appuie, les accusant de soutenir les «rebelles» alliés à M. Ouattara.

Au fil des jours, la plupart des quartiers du nord d'Abidjan ont été touchés par les affrontements.

Le massacre de jeudi intervient alors que la communauté internationale s'inquiète de plus en plus des répercussions sur les civils d'une crise qui avant cette attaque avait fait, selon l'ONU, plus de 410 morts depuis mi-décembre et menace de plonger le pays dans une guerre civile.

Une porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) a exprimé «sa plus vive inquiétude devant cette escalade sans précédent de la violence et joint sa voix à celle des autres organisations pour la cessation des hostilités et la protection des civils».

«Ces violences sont un frein à l'aide humanitaire», a averti Elisabeth Byrs, parlant notamment de «barrages» érigés à l'ouest.

Environ 300.000 personnes ont été déplacées par les violences à Abidjan. Plus de 90 000 Ivoiriens se sont réfugiés au Liberia depuis le début de la crise, dont plus de la moitié depuis fin février, un «énorme défi» pour les infrastructures humanitaires dans le pays, selon l'ONU.