La Côte d'Ivoire était vendredi soir à la croisée des chemins avec deux «présidents» rivaux, le sortant Laurent Gbagbo proclamé vainqueur de la présidentielle par le Conseil constitutionnel et Alassane Ouattara, reconnu par l'ONU et les Occidentaux comme légitimement élu.

Alors que les partisans des deux rivaux criaient leur joie ou leur colère à Abidjan, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, l'UE, la France et les États-Unis ont tour à tour félicité M. Ouattara «pour sa victoire». Ils ont demandé à M. Gbagbo de reconnaître sa défaite et de partir.

Au pouvoir depuis 2000, Laurent Gbagbo a été proclamé président par le Conseil constitutionnel avec 51,45% des suffrages au second tour, le 28 novembre, contre 48,55% à son rival.

Le président du Conseil, Paul Yao N'dré, proche du président sortant, a invalidé les résultats provisoires donnés jeudi par la Commission électorale indépendante (CEI), qui créditaient l'ex-Premier ministre Alassane Ouattara d'une large victoire: 54,1% contre 45,9%.

Il l'a fait en «annulant» les votes dans une série de départements du nord, sous contrôle de l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) depuis le putsch manqué de 2002, où selon le camp Gbagbo le scrutin avait été «frauduleux».

Le représentant de l'ONU en Côte d'Ivoire, Youn-jin Choi, l'a contredit. Il a assuré que le scrutin s'était «globalement déroulé dans une atmosphère démocratique» et que même si toutes les réclamations déposées par le camp Gbagbo dans le nord étaient prises en compte, le résultat de la CEI «ne changerait pas».

La présidence ivoirienne n'a pas tardé à menacer d'expulsion le fonctionnaire onusien: «M. Choi se croit au-dessus du Conseil constitutionnel», a tonné Alcide Djédjé, conseiller de M. Gbagbo et ambassadeur ivorien aux Nations unies, l'accusant d'être «un agent de déstabilisation» encourageant aux «violences».

Mais le chef des Nations unies Ban Ki-moon a reconnu M. Ouattara comme vainqueur légitime.

«Le secrétaire général félicite M. Alassane Ouattara (...) pour son élection et demande au président élu de travailler pour une paix durable, la stabilité et la réconciliation en Côte d'Ivoire», a déclaré son porte-parole.

Les quinze pays du Conseil de sécurité de l'ONU n'avaient cependant pas réussi à se mettre d'accord vendredi sur une déclaration conjointe sur la présidentielle en Côte d'Ivoire, qui pourrait intervenir samedi ou lundi, a indiqué un diplomate onusien.

Fort de ce soutien, M. Ouattara, ex-vice-président du Fonds monétaire international (FMI) âgé de 68 ans, s'est présenté comme «le président élu de la République de Côte d'Ivoire».

Le chef des FN Guillaume Soro, Premier ministre depuis l'accord de paix de 2007, lui a aussi apporté son appui. Il a rejeté les résultats du Conseil constitutionnel et la victoire de Laurent Gbagbo, condamnant en particulier l'annulation de votes du nord.

Le président des États-Unis Barack Obama a félicité M. Ouattara «pour sa victoire» et appelé Laurent Gbagbo à «reconnaître et respecter» ce résultat, dont la fiabilité a été «certifiée».

«La Côte d'Ivoire est désormais à la croisée des chemins», a-t-il souligné.

Après le chef de la diplomatie de l'Union européenne Catherine Ashton, le président français Nicolas Sarkozy a aussi demandé à M. Gbagbo de «respecter la volonté du peuple» et adressé «ses voeux chaleureux de plein succès» au «président élu» Alassane Ouattara.

En Côte d'Ivoire comme à l'étranger, beaucoup craignaient une explosion de violence après deux semaines de fortes tensions marquées par une série d'affrontements sanglants.

Des partisans d'Alassane Ouattara ont dressé des barricades jusqu'au cessez-le-feu nocturne et brûlé des pneus dans des quartiers populaires d'Abidjan, pour protester contre la proclamation de la victoire de Laurent Gbagbo. «On nous vole notre victoire!», criait l'un d'eux.

Mais à Yopougon (ouest), fief du chef de l'État sortant, ses inconditionnels ont exulté aux cris de «Gbagbo président».

«On s'en fout de l'ONU, on s'en fout des Blancs», lâchaient certains, alors que la rhétorique antifrançaise reprenait de la vigueur, dans les rues et à la télévision publique.

Élu en 2000 à l'issue d'un scrutin controversé dont avaient été exclus l'ex-président Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo était resté au pouvoir en 2005 après la fin de son mandat, en invoquant la crise née de la partition du pays.