Au moins trois personnes ont été tuées samedi à Abidjan lors de heurts entre la police et des opposants qui manifestaient contre le couvre-feu qui devait commencer dans la soirée, aggravant la tension dans le pays à la veille du second tour de l'élection présidentielle.

Alors que des jeunes protestaient contre cette mesure dans le quartier populaire d'Abobo, bastion de l'ex-premier ministre et candidat Alassane Ouattara, des manifestants se sont affrontés aux forces de l'ordre, qui ont répliqué par des tirs à balles réelles, ont rapporté à l'AFP des témoins et une source policière.

Au moins trois personnes ont été tuées, ont indiqué des sources concordantes, notamment médicale. Une dizaine de personnes ont été blessées, a constaté un journaliste de l'AFP dans un centre hospitalier.

Ces violences meurtrières ajoutent à la tension qui régnait depuis l'annonce à la mi-journée d'un couvre-feu à partir de samedi à 22h00 (17h00, heure de Montréal), à quelques heures d'une présidentielle historique censée clore une décennie de crises politico-militaires.

Le président Laurent Gbagbo, qui affronte M. Ouattara dimanche, a décrété ce couvre-feu jusqu'à mercredi pour assurer le «maintien de l'ordre». La mesure ne s'applique pas aux «personnes impliquées dans l'organisation des élections», ni aux observateurs ni aux journalistes.

Le chef de l'État a défendu une «mesure dissuasive pour quelques extrémistes», mais le camp de son rival avait assuré qu'il ne respecterait pas cette décision qui est selon lui «la porte ouverte» aux «fraudes».

Le décret a été signé le jour même d'une visite à Abidjan du médiateur dans la crise ivoirienne, le président burkinabè Blaise Compaoré, qui a rencontré ensemble les candidats.

Alors que la Commission électorale indépendante (CEI) avait dans un communiqué «recommandé au chef de l'État d'assouplir les mesures de sécurisation» liées au couvre-feu, aucune annonce précise n'a été faite sur le sujet à l'issue de la visite du médiateur.

M. Compaoré s'est borné à dire que le président ivoirien avait «une très forte disponibilité pour envisager des mesures dans ce sens-là».

Les deux prétendants ont lancé «un appel solennel» aux électeurs à «s'abstenir de tout acte d'agression» pour «permettre l'organisation du scrutin dans un climat apaisé». Ils se sont de nouveau engagés à respecter le verdict des urnes.

La campagne électorale a été marquée par un durcissement des discours et des échauffourées entre partisans des deux bords. Un militant pro-Gbagbo a été tué jeudi dans son bastion du centre-ouest, lors d'un de ces heurts qui ont fait de nombreux blessés dans la capitale économique et ailleurs au pays.

Quelque 5,7 millions de personnes sont appelées aux urnes pour ce scrutin à l'issue très incertaine entre les deux figures les plus antagonistes de la politique ivoirienne.

MM. Gbagbo et Ouattara avaient recueilli au premier tour respectivement 38% et 32% des suffrages.

Six fois repoussé depuis la fin du mandat de M. Gbagbo en 2005, le vote est censé clore la crise née du putsch raté de septembre 2002, qui a coupé le pays en un sud loyaliste et un nord aux mains d'une rébellion rebaptisée Forces nouvelles (FN).

Signe de l'appréhension liée au scrutin et à ses suites, à Abidjan les habitants s'étaient pressés samedi devant les guichets des banques et dans les commerces.

«Nous avons peur, c'est pourquoi je fais des provisions», confiait à l'AFP Madeleine Hema, mère au foyer, dans le quartier de Marcory, au sud de la principale ville du pays.