Quelque 5,7 millions d'Ivoiriens sont appelés à départager dimanche le chef de l'État sortant Laurent Gbagbo et l'ex-premier ministre Alassane Ouattara au second tour d'une présidentielle sous tension, destinée à enterrer une décennie de coups d'État et de violences.

Après le premier putsch de 1999, après celui, raté, qui a conduit en 2002 à des affrontements et au contrôle du Nord par des rebelles, après six reports du scrutin depuis la fin du mandat de Gbagbo en 2005, les électeurs choisissent celui qui devra sortir de l'ornière un pays naguère modèle de stabilité, du temps du président Félix Houphouët-Boigny (1960-1993).

Seuls les deux rivaux et leurs supporters se risquent aux pronostics, évidemment inverses. Tout dépendra du report des voix d'Henri Konan Bédié. Déchu en 1999 et troisième au premier tour le 31 octobre (25% des suffrages), l'ex-chef d'État soutient Ouattara, son allié après des années de déchirements. Mais nul ne sait comment voteront les baoulé, son ethnie.

Gbagbo, Ouattara, l'affiche est belle: l'opposant historique au «père» Houphouët et l'un de ses héritiers. Le tribun hors pair du pays profond et le technocrate de classe internationale. Le sudiste et le nordiste.

L'affiche est inédite. Gbagbo est entré au palais présidentiel en 2000 à l'issue d'une élection dont la junte alors au pouvoir avait barré l'accès à Ouattara pour cause de «nationalité douteuse», énième avatar du concept d'«ivoirité» qui divisa les communautés et dressa devant elles l'épouvantail de l'«étranger».

L'affiche fait peur. Entre les deux hommes, la liste des contentieux est longue comme un jour sans attiéké, la semoule de manioc dont raffolent les Ivoiriens.

Et ce qui devait arriver est arrivé. Après une campagne de premier tour au ton mesuré et un vote sans gros incident, «on ressort les vieux dossiers des tiroirs», selon l'expression d'un diplomate africain. Et on ressort les mouchoirs.

«Putschiste» contre «putschiste»: Gbagbo (38% il y a un mois) et Ouattara (32%) se sont dans la semaine écoulée accusé mutuellement de presque tous les maux qui ont accablé cette ex-colonie française, 50 ans après son indépendance.

À l'heure des règlements de compte entre «grands», les petits s'emballent. Pierres, gourdins: jeunes partisans du «prési» et inconditionnels d'«ADO» (Alassane Dramane Ouattara) se sont affrontés, spécialement à Abidjan. Incidents isolés, mais qui ont fait des blessés.

«Qui veut brûler la Côte d'Ivoire?», s'alarmait cette semaine le quotidien privé L'Inter. On n'en est pas là. Mais les bagarres de rues ont valeur d'avertissement.

Aussi religieux, footballeurs, ONG, diplomates et l'ONU ont-ils multiplié les appels au calme. Et le médiateur, le président burkinabè Blaise Compaoré, est annoncé dans le pays samedi, veille du jour «J».

Face aux menaces de violences, le Conseil de sécurité a décidé de transférer de sa mission au Liberia voisin 500 hommes et une unité aérienne pour renforcer l'Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (ONUci, plus de 8500 hommes). De même, le Centre de commandement intégré (CCI), état-major mixte réunissant armée régulière et rebelles, déploie davantage d'éléments.

Le nord rebelle inspire surtout l'inquiétude, ainsi que le centre-ouest (en territoire loyaliste): dans cette région de cacao - dont le pays reste premier producteur mondial - et aux communautés diverses, le climat est déjà tendu.

Choisiront-ils de souffler sur les braises ou de calmer le jeu ? Les deux prétendants doivent se mesurer jeudi soir lors d'un face-à-face à la télévision publique. Une première.