La militante et féministe malienne Aminata Traoré se rappelle le moment exact où elle a commencé à détester le «développement».

C'était au début des années 90. La pauvreté faisait des ravages dans son pays d'origine où le régime militaire de Moussa Traoré venait tout juste d'être renversé. La Banque mondiale avait annoncé en grande pompe un ambitieux projet de développement «à haute intensité en main d'oeuvre».

«Plus de 300 personnes venaient d'être tuées. Des milliers de gens attendaient du travail. La Banque a fait miroiter ce grand projet d'infrastructure en disant que ça allait enrayer le chômage», raconte-t-elle.

Convaincue que le projet n'allait pas être un coup de baguette magique qui ferait disparaître le problème endémique du chômage, Aminata Traoré était aussi consciente que le prix serait élevé pour la population malienne, obligée de rembourser le prêt concédé par la Banque mondiale.

«Je suis allée à la Banque mondiale pour leur dire en personne qu'ils n'avaient pas le droit d'endetter une génération en pensant que le béton allait libérer les gens de leurs maux. Alors qu'on bâtissait des murs autour d'écoles qui n'avaient même pas de chiottes et autour de cimetières, nous faisions face aux réformes structurelles», s'indigne encore Mme Traoré.

Remède imposé aux pays en voie de développement par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, ces ajustements structurels sont aujourd'hui perçus par beaucoup d'experts comme l'un des pires faux pas des grandes organisations financières internationales. Ces dernières ont notamment obligé des pays pauvres à privatiser leurs richesses pour rembourser leurs dettes et forcé des agriculteurs à abandonner les cultures traditionnelles pour cultiver des denrées prisées sur le grand marché mondial, dont le chocolat et le café. Une mesure qu'on accuse aujourd'hui d'avoir causé la crise alimentaire des dernières années. «On a été dépossédé de tout», lance Mme Traoré qui a consacré un livre au phénomène, L'étau.

Aminata Traoré, qui a depuis travaillé pour l'ONU et été ministre du Tourisme au Mali avant de mettre sur pied le Forum social africain, est particulièrement critique à l'égard de la France qui «utilise l'Afrique comme levier pour ses entreprises». Mais la militante ne ménage pas le Canada, qui, à ses yeux, se conduit comme les autres pays du G8 en utilisant le développement pour ouvrir les portes des marchés africains et participer «au pillage des ressources naturelles».

C'est ce message de contestation contre le développement issu de l'approche néolibérale que Mme Traoré est venue porter au Québec dans le cadre des Journées québécoises de la solidarité internationale, qui ont commencé mercredi. Elles s'étendront jusqu'au 13 novembre.

Pour prendre connaissance des activités des Journées québécoises de la solidarité internationale: www.jqsi.qc.ca