Le Soudan risque l'éclatement en 2011. Et les préparatifs en vue du référendum sur l'indépendance du Sud s'empêtrent dangereusement, au point où l'ONU tiendra demain une réunion spéciale à ce sujet. Pour préparer ce référendum, les politiciens soudanais se sont rendus dans un pays qui a une certaine expérience en la matière: le Canada. Marie-Joëlle Zahar, professeure à l'Université de Montréal, est l'un des observateurs étrangers qui accompagnent le Soudan dans ce processus. Elle nous fait part de ses inquiétudes.

Q: Le Canada, comme beaucoup d'autres pays, assiste cet automne le Soudan dans la préparation de la consultation populaire du 9 janvier 2011. Quel est l'apport du Canada?

R Marie-Joëlle Zahar: Les Soudanais ont été très intéressés par notre expérience politique en référendums et les leçons qu'on en a tirées. Ils se sont intéressés, par exemple, aux problèmes autour de la formulation de la question en 1995 et au jugement de la Cour suprême. Le Canada est particulier parce qu'il y a très peu de pays qui ont des règles claires sur la façon dont un référendum sur la sécession doit être tenu pour qu'il soit légitime et légal.

Q: Sur quoi portera la question?

R En 2005, l'accord global de paix créait une période intérimaire de six ans pendant laquelle l'option de l'unité du pays devait devenir plus attrayante pour le Sud. (...) Mais la période intérimaire a connu plusieurs problèmes et beaucoup d'observateurs estiment que le Sud va massivement voter pour l'indépendance. (...) Plusieurs dans le Sud estiment que les promesses d'autonomie ne sont pas suffisantes, il leur faut la garantie d'une indépendance reconnue internationalement.

Q: Cette indépendance devrait-elle être reconnue?

R: Oui, dans la mesure où le processus a un minimum de crédibilité à l'interne comme à l'international. S'il y a des vices de procédure graves, de l'intimidation, de la violence, ce sera très difficile. S'il y a une déclaration unilatérale d'indépendance, comme dans le cas du Kosovo, parce que le processus traîne en longueur et que la population s'impatiente, je pense que ça créerait également énormément de problèmes.

Q: Cette semaine, l'émissaire norvégien a déploré que les préparatifs aient pris du retard. Que reste-t-il à faire?

R: Tout... La commission a été mise sur pied, mais il a fallu deux mois pour que les partis s'entendent sur le secrétaire général. On ne sait pas comment déroulera la consultation, où iront voter les gens. Il y a énormément de personnes du Sud qui sont réfugiés dans des camps près de Khartoum: devront-elles voter sur place ou se rendre dans le Sud? Qui aura le droit de voter? (...) Quelle sera la question? Qui observera le processus? Y aura-t-il des mesures de sécurité? En ce moment, le gouvernement empêche les activités visant à informer les gens sur le référendum. (...) Nous sommes à quelques mois d'une échéance et les citoyens ne connaissent pas vraiment les tenants et aboutissants de l'issue, ce qui risque de mener à un vote plus émotionnel que réfléchi.

Q: Ça vous inquiète?

R: Oui, clairement. Je pense que, même si personne ne veut l'avouer et que, dans le Sud, plusieurs ne veulent même l'envisager, on va devoir envisager le report de la date pour obtenir des conditions minimales de crédibilité.

EN BREF

Le Nord, le Sud, le reste

Les accords de paix de 2005 ont mis fin à plus de 20 ans de guerre civile entre le nord et le sud du Soudan. Le Nord, c'est le gouvernement de Khartoum, musulman et arabe. Dans le Sud, les Noirs chrétiens et animistes sont en majorité. Mais il s'agit de distinctions relatives -par exemple, des groupes musulmans se sont alliés aux chrétiens contre le gouvernement de Khartoum. La plupart du pétrole se trouve dans le Sud, même si le Nord est beaucoup plus développé parce qu'il a été favorisé par le gouvernement. Un éclatement du Soudan fait par ailleurs craindre pour la sécurité dans la région, les voisins du Sud -l'Ouganda et République démocratique du Congo- n'étant pas des exemples de stabilité...

Photo: AFP

Tous les mois, des Soudanais du Sud (comme ceux-ci, le 20 août dernier à Juba) se recueillent à l'occasion d'une journée de prière multiconfessionnelle pour promouvoir la paix d'ici la tenue du référendum sur l'indépendance du Sud-Soudan, prévu en janvier prochain.