Lutte contre la cacophonie ou atteinte à la tradition? Le gouvernement égyptien a entamé la mise en place d'un «appel unifié» à la prière au Caire, au grand dam des partisans de l'appel classique lancé depuis des siècles par les milliers de muezzins de la ville.

Le ministère des Biens religieux (Waqf) a choisi le début du mois de jeûne musulman du ramadan pour lancer une première phase de ce projet, régulièrement reporté depuis des années à cause des passions qu'il soulève.

Surnommée «la ville aux mille minarets», Le Caire compte officiellement 4 500 mosquées, dont les appels à la prière cinq fois par jour rythment la vie des quelque 20 millions d'habitants, musulmans pour l'immense majorité.

Selon le ministère, le projet a débuté jeudi, au début du ramadan, le mois sacré du jeûne, dans certaines zones des quartiers d'Héliopolis, Madinet Nasr et à proximité des pyramides de Guizeh.

Certaines mosquées sont ainsi équipées d'un récepteur relié à un studio de radio central, permettant de diffuser l'appel à la prière d'un religieux choisi pour la qualité de sa voix, à un niveau sonore contrôlé.

Des incidents techniques ont été signalés au démarrage de l'opération, mais les autorités ont promis qu'ils seraient vite réglés et que le projet continuerait d'être étendu pour à terme couvrir toute la capitale.

Ni la ferveur des muezzins, ni celle des fidèles ne sont en cause.

Mais la course aux décibels entre minarets, le décalage entre les divers appels et le talent vocal contestable de certains officiants ont souvent raison de la patience des habitants du Caire.

«Cela va mettre fin à la pollution sonore engendrée par les micros réglés à des volumes qui peuvent déranger le voisinage, particulièrement lors de la prière de l'aube», se félicite Soad Saleh, professeur de droit islamique à l'université islamique d'Al Azhar.

Le prophète Mahomet «n'a pas interdit l'unification de l'appel à la prière. Bien au contraire», souligne-t-elle. «À l'époque du prophète, seul Bilal, un de ses compagnons, jouissait du privilège d'effectuer l'appel à la prière. Cette décision va rendre à l'appel sa vraie valeur et sa beauté».

Mona Ismaïl, guide touristique et habitante du quartier de Madinet Nasr, y est aussi favorable. «Dans mon quartier, c'est le fils de l'imam qui effectue l'appel à la prière. Cela ne convient pas du tout à la noblesse de l'appel. Il faut une voix qui donne aux gens l'envie d'aller prier».

Mais l'appel «unifié» continue de soulever l'opposition farouche d'une partie importante de la population, attachée à la tradition, et des muezzins.

«Pour ne pas sanctionner les bons muezzins et stopper ceux qui manquent de qualifications, il faudrait que le ministère fasse plus de contrôles. Cet appel unifié ne répond pas au problème», affirme Saïd Rifai, muezzin à la mosquée du Sultan Hassan.

Tarek, un chauffeur de taxi, abonde dans son sens : «Plutôt que de priver le muezzin de son rôle essentiel, il faudrait s'assurer qu'il réponde aux critères de la profession. On pourrait aussi mieux contrôler le niveau sonore des microphones déjà en place».

Certains muezzins redoutent d'être à l'avenir réduits à des tâches subalternes dans les mosquées, moins exaltantes que de lancer l'appel aux fidèles.

Pour Sayed Abdel Rahman, un muezzin du Caire, «l'appel à la prière est une véritable vocation spirituelle. Ma voix est un don de Dieu. En la mettant à son service, je le remercie pour ce don et je réaffirme ma foi en appelant les autres à la prière».