Il y a 19 ans que les lois racistes de l'apartheid ont été abolies en Afrique du Sud, mais certaines choses tardent à changer. Les Sud-Africains vous diront par exemple qu'un jardinier blanc, ça n'existe pas dans leur pays. Ils sont tous noirs et, dans les riches banlieues de Pretoria, la capitale, ils travaillent pour des Blancs.

Le réalisateur Johann Greeff ne s'est pas embarrassé de ce léger détail. Son film, Kwaai Naai, met en vedette une femme au foyer qui s'ennuie dans sa grande maison de Pretoria. En l'absence de son mari, elle tombe sous le charme du bel Afrikaner qui prend soin de ses rosiers et de sa pelouse immaculée.

 

Cliché, sans doute. Mais surtout irréaliste. C'est que M. Greeff ne voulait pas choquer les esprits.

«Un film en afrikaans avec un acteur noir, ça ne se vendrait pas, explique-t-il. Les Afrikaners ne sont pas prêts aux relations interraciales.»

Bien qu'il ait joué de prudence, M. Greeff a quand même réussi à choquer. Énormément. Et pour cause: Kwaai Naai, que l'on pourrait traduire par Baise fantastique, est le tout premier film pour adultes jamais tourné en afrikaans.

Menaces de mort

La communauté afrikaner n'a pas apprécié. Depuis la sortie du film, au mois d'octobre, Johann Greeff a reçu «quatre ou cinq fois» des menaces de mort. Il s'est brouillé avec des amis et des membres de sa famille. Il a été comparé à l'antéchrist dans des forums de discussion sur le web. «On veut me castrer, me crucifier! Un homme m'a téléphoné pour me prévenir de surveiller mes arrières. Ça rend nerveux.»

C'est que les 2,7 millions d'Afrikaners - 60% des Blancs d'Afrique du Sud - sont en général très puritains. «Ils ont été élevés dans la religion calviniste. Dieu est tout, à leurs yeux. Il ne faut pas tromper sa femme, il faut obéir aux préceptes de la Bible, blablabla», soupire M. Greeff.

Les pionniers afrikaners qui se sont établis dans la région du Cap au XVIIe siècle étaient des extrémistes protestants qui fuyaient les persécutions religieuses en Europe. Pour eux, l'Afrique du Sud était la terre promise. D'après leur doctrine calviniste, ils formaient un «peuple élu». Trois siècles plus tard, cette interprétation des Écritures a servi à justifier les concepts ségrégationnistes de l'apartheid.

M. Greeff ne va jamais à l'église. Il se demande parfois s'il a sa place au sein de la communauté afrikaner. «Je viens peut-être d'une autre planète.»

C'est en visitant un sex-shop de Pretoria que M. Greeff a eu l'idée de tourner Kwaai Naai. «Il y avait une cliente, une Afrikaner, qui chuchotait à l'oreille du vendeur. Elle était très gênée. Elle voulait acheter un film pour l'offrir à son mari. Mais voilà, ce dernier ne parlait pas l'anglais. Derrière son comptoir, le vendeur s'est exclamé: «Mais vous rêvez, madame, ça n'existe pas, des films pornos en afrikaans!»»

M. Greeff a sauté sur l'occasion. «Je me suis dit qu'il devait y avoir un marché pour ça.» Il lui a fallu six mois pour trouver deux actrices prêtes à figurer dans son film. Aujourd'hui, Kwaai Naai se trouve sur les tablettes de tous les sex-shops de l'Afrique du Sud.

Jusqu'à présent, 4000 exemplaires ont trouvé preneur. Des ventes modestes mais, selon M. Greeff, son film se classe deuxième au palmarès des films pour adultes les plus vendus au pays. «J'ai comblé un vide dans le marché. J'ai aidé des gens. Pourquoi la porno devrait-elle être réservée à ceux qui parlent anglais?»

L'homme ne compte pas s'arrêter là, surtout que ses autres affaires - il produit des vidéos d'entreprise en plus de filmer des mariages et des parties de chasse dans la savane - vont couci-couça depuis la sortie de Kwaai Naai. «Bien des gens ne veulent plus rien savoir de moi.»

Le pionnier du porno afrikaner a beaucoup perdu dans l'aventure. «Ma soeur ne veut toujours pas me parler. Mon meilleur ami, que je connais depuis 15 ans, m'a dit qu'il ne voulait plus jamais me voir.» Mais M. Greeff ne regrette rien. «Je me suis fait plein d'autres amis!»