Un matin, Djamel Droul vendait des cacahuètes dans les rues de Ben Ghazi, une banlieue d'Alger. Le lendemain, il était entassé avec 15 000 autres de ses compatriotes dans un stade soudanais pour le match qui a permis à l'Algérie d'accéder à la Coupe du monde. Entre les deux? Le plus grand pont aérien jamais organisé par le gouvernement algérien.

Cette mesure extraordinaire, qui fait encore jaser dans la capitale algérienne, en dit long sur les efforts qu'a déployés le gouvernement du président Abdelaziz Bouteflika pour que l'équipe de soccer prenne part à la manifestation sportive la plus regardée du monde. Pour l'occasion, des avions militaires ont été mis à contribution pour transporter les fans jusqu'à Khartoum, ville choisie pour le match fatidique entre l'Égypte et l'Algérie.

 

«C'était comme dans un film, raconte Djamel Droul. On est sortis du ventre de l'avion Hercules et des militaires nous attendaient. C'était comme si c'était la guerre, sauf qu'elle se déroulait sur un terrain de soccer. Et on l'a gagnée», raconte avec entrain le jeune homme de 28 ans.

Même s'il vit de trois fois rien et n'a pas d'emploi stable, comme bien des jeunes hommes en Algérie où le quart de la population vit sous le seuil de la pauvreté, Djamel Droul croit que le gouvernement a bien fait de ne pas regarder à la dépense.

Comme lui, plusieurs pensent que le gouvernement a raison de continuer de miser sur le soccer, qui, depuis le fameux match de Khartoum, a un effet rassembleur sur les Algériens. Certains y voient un clin d'oeil à Invictus, le film de Clint Eastwood qui relate l'intervention du président Nelson Mandela auprès de l'équipe sud-africaine avant la Coupe du monde de rugby de 1995.

Mais tous n'abondent pas dans ce sens. Juriste et syndicaliste, Lamine Medjber (nom fictif) soupçonne le gouvernement d'utiliser le soccer pour endormir la population. «Il y a une véritable manipulation du soccer par l'État qui se sert de la Coupe du monde pour blanchir son visage. Pour nous faire oublier que nous vivons sous l'état d'urgence depuis 1992, qu'il n'y a pas de presse libre ou de droit d'association», tonne-t-il en engloutissant un café noir.

Sociologue à l'Université d'Alger, Nasser Djabi croit qu'il est trop tôt pour juger des actions du gouvernement algérien dans la foulée de la Coupe du monde. Car selon lui, le travail n'est pas encore commencé.

«Depuis la qualification de l'équipe, il y a eu un déclic dans la société qui dépasse le sport. Le foot a permis de récupérer une génération malmenée qui ne rêve que de deux choses: se suicider ou quitter le pays», constate-t-il.

«C'est l'année du foot et ça vient avec un apaisement, moins d'émeutes, moins d'émigration clandestine. Quand la Coupe du monde sera terminée, les effets à long terme vont dépendre du gouvernement. Pour garder les jeunes, il faut leur donner des emplois, des logements. Une autre raison de rester que le sport.»