L'Unesco affronte une vive campagne des défenseurs des droits de l'Homme et d'universitaires, dont plusieurs prix Nobel qui dénoncent son projet d'attribuer un prix scientifique portant le nom du «dirigeant corrompu et tyrannique» de Guinée Equatoriale, Teodoro Obiang Nguéma.

Le Conseil exécutif de l'organisation de l'ONU pour la science, la culture et l'éducation doit se réunir le 15 juin pour essayer de trouver une issue à cette controverse.

Le prix, institué en 2008, doit être financé à hauteur de 1,5 million de dollars sur 5 ans par la Guinée Équatoriale, petit État d'Afrique centrale, riche en pétrole et dirigé d'une main de fer depuis 1979 par Teodoro Obiang Nguéma, qui prit le pouvoir par un coup d'État.

«La réputation de l'Unesco ne peut être qu'irrémédiablement ternie lorsque l'organisation ignore les terribles conditions qui sont celles du peuple équato-guinéen et permet à un tyran d'utiliser l'organisation pour polir son image», ont mis en garde le mois dernier 44 organisations, dont Human Rights Watch, Global Witness ou l'association française Sherpa.

«Quelle terrible ironie dans le fait d'attribuer un prix récompensant "la recherche dans les sciences de la vie contribuant à améliorer la qualité de la vie des êtres humains" en l'honneur d'un président dont les 30 ans de règne ont été marqués pour son peuple par la peur et la pauvreté», ont-elles ajouté, reprenant l'intitulé de la récompense.

Le jury du prix s'est réuni en mai, mais n'a désigné aucun lauréat. Auparavant, l'Unesco avait dû étendre les délais de candidatures, faute de postulants crédibles.

«Ce n'est pas une situation confortable, mais seuls les États membres peuvent prendre une décision», a déclaré à l'AFP la porte-parole de l'Unesco, Sue Williams.

Dans une lettre adressée à Human Rights Watch, le 5 mai, et rendue publique par cette organisation, la directrice générale de l'Unesco Irina Bokova soulignait que toute décision revenait au Conseil exécutif et soulignait que la création du prix avait reçu «un fort soutien» des pays africains.

En 2008, l'instauration de ce prix avait été décidée par consensus sur proposition de la Guinée Equatoriale. Mais plusieurs pays, dont la France et les États-Unis, avaient émis des réserves au sein du Conseil exécutif, organe de décision de l'Unesco.

Un groupe d'universitaires s'est également ému du projet, accusant le président équato-guinéen de vouloir ainsi «légitimer les abus de son pouvoir». Parmi les signataires, qui demandent la suppression pure et simple du prix, figurent le Français Claude Cohen-Tannoudji, prix Nobel de physique en 1997 et le Canadien John Polanyi, prix Nobel de chimie en 1986.

Ils soulignaient que grâce au pétrole, la richesse par habitant de la Guinée Equatoriale est comparable à celle de l'Italie ou de l'Espagne. En revanche, de pays d'environ 650.000 habitants ne se classe que 168e sur 182 au classement de l'ONU pour le développement humain.

Dans un entretien à la revue Afrique-Asie, un conseiller du président de Guinée Equatoriale estime que cette controverse n'est que le signe de résistances à une initiative émanant d'un pays africain.

«L'Unesco décerne une trentaine de prix au total (...) Pourquoi s'en prendre à un prix scientifique, créé par un pays membre africain ?», questionne Agapito Mba-Mokuy. «Pourquoi certains sont-ils allergiques à l'arrivée d'un pays africain dans cette sphère» de la recherche scientifique ?, demande-t-il encore.

Cette polémique représente aussi un premier test politique pour Irina Bokova, la diplomate bulgare élue à la tête de l'Unesco en septembre 2009 en battant le favori égyptien Farouk Hosni, accusé d'antisémitisme par des intellectuels français.