L'été dernier, les Maliens ont massivement protesté contre un projet de réforme de leur Code de la famille, qui visait à rétablir un peu d'égalité entre les sexes et dont l'adoption avait été encouragée par le Canada. Craignant que le pays ne s'enflamme, le gouvernement a reculé, promettant de revenir avec un projet révisé ce printemps. Depuis, c'est le silence. Et pour plusieurs, une conclusion s'impose: aussi bonnes que soient nos intentions, on ne peut pas forcer le progrès.

Vêtu d'un boubou blanc brodé d'or, le journaliste Sambi Touré explique ce que signifie le devoir d'obéissance qui, selon la tradition malienne, soumet la femme à l'autorité de son mari.

 

«Le matin, la femme donne de l'eau à son mari, l'aide à se laver, blanchit ses habits, le nourrit. Et si le monsieur a des envies insatiables, elle fait l'amour avec lui», énumère-t-il.

Nous sommes installés dans une rue de terre battue de Bamako, la capitale malienne. Derrière nous, une maison portant l'affiche du quotidien Info Matin. Devant, l'incessant flot de vendeurs ambulants qui exhibent leurs marchandises.

Sambi Touré tâte des vêtements d'enfant, négocie le prix d'un sac de fruits de jujubier. Et il enchaîne: «Chez nous, les femmes sont élevées pour obéir à leur mari. Celles qui ne le sont pas deviennent des gourgandines.»

Le directeur d'Info Matin sait que ses propos ne peuvent que choquer la toubab - Blanche - que je suis. Et il semble prendre un malin plaisir à me provoquer. Mais après trois semaines de voyage au Mali, le fond de son propos ne me surprend pas.

«Ici, les hommes aiment la dictature, ce sont eux qui gagnent l'argent, c'est normal qu'ils soient les chefs», m'avait dit un piroguier de Ségou, sur le Niger. «L'homme a le pouvoir de l'argent, la femme ne peut pas lui désobéir», a pour sa part dit un étudiant en droit de Bamako.

L'été dernier, le gouvernement malien a tenté de renverser cet ordre des choses. Un nouveau «Code des personnes et de la famille», adopté à la quasi-unanimité par l'Assemblée nationale, prévoyait de remplacer le devoir d'obéissance par une obligation de respect mutuel entre époux.

D'autres articles accordaient des droits aux enfants naturels, affirmaient la préséance du mariage civil sur le mariage religieux, fixaient l'âge minimal du mariage à 18 ans pour les femmes et précisaient que les épouses peuvent elles aussi subvenir aux besoins du ménage.

Les rédacteurs de la réforme avaient pris soin de ne pas toucher à des sujets trop sensibles. Pas question d'interdire la polygamie, par exemple. Ni l'excision, qui reste largement pratiquée au Mali.

Mais dans ce pays à majorité musulmane, attaché à ses traditions, c'était assez pour ulcérer les imams. Avant que le Code ne soit soumis au vote des députés, le Haut Conseil islamique a âprement négocié des compromis avec le gouvernement. Après le vote, il a déclaré la guerre à la réforme.

 

Désinformation

«Toutes les mosquées ont appelé les gens à se révolter, les leaders religieux ont clamé que les femmes qui soutiennent la réforme sont mauvaises, dominatrices, corrompues par les partenaires internationaux», explique Nana Sissako, présidente du Groupe Pivot - Droits et citoyenneté des femmes.

Ce réseau d'ONG féminines a tenté de «vendre» la réforme aux Maliennes dans tout le pays. Nana Sissako me reçoit en compagnie de l'ancienne présidente du Groupe Pivot, Nana Sanou.

Vêtues de leurs coiffes et pagnes traditionnels, les deux femmes ne cachent pas leur amertume. Les leaders religieux ont mené une véritable campagne de désinformation, dénoncent-elles. Ils ont fait croire que la réforme ouvrait la porte au mariage homosexuel, qu'elle pousserait les femmes à la débauche ou obligerait les hommes à faire le ménage. Les médias ont relayé cette campagne avec zèle.

 

Injures et menaces

Mais il y a eu pire: des cassettes vendues à la porte des mosquées proféraient des menaces contre les défenseurs du nouveau Code.

Nana Sissako et Nana Sanou ont reçu des injures téléphoniques. Tout comme les députés qui avaient appuyé la réforme.

Un jour du mois d'août, répondant à l'appel du Haut Conseil islamique, 50 000 personnes se sont rassemblées au stade de Bamako pour protester contre la réforme, dans une atmosphère électrique.

«Si on leur avait demandé de mettre le feu à Bamako, ils l'auraient fait», dit une femme proche des mouvements féminins, qui a demandé l'anonymat.

«Le président a eu peur d'un coup d'État», ajoute-t-elle.

Alors Amadou Toumani Touré a reculé. Au lieu de promulguer la réforme, il l'a suspendue. En promettant de revenir avec un nouveau texte, en avril.

Lors de notre rencontre, Nana Sissako et Nana Sanou se sentaient amères, flouées. Elles ne comprenaient pas que le président ait plié devant les imams. Et elles craignaient que la réforme révisée ne soit diluée au point de perdre tout son sens.

Mais en même temps, elles admettent que la fronde populaire a été très intense. Nana Sanou le reconnaît à contrecoeur: «On peut dire que la population a rejeté le nouveau Code.»

 

Erreur d'aiguillage

Les bases du projet de Code de la famille ont été jetées par des ONG féminines au milieu des années 90. Une première tentative de réforme a échoué en 2002. Par la suite, les réformistes ont voulu prévenir la résistance en amont, en négociant avec les leaders religieux. «Nous avons cru que la concertation avait porté ses fruits, mais nous n'avons pas vu le goulot d'étranglement», admet Boya Dembele, conseiller technique du ministère de la Justice qui pilote ce dossier.

Les critiques reprochent au gouvernement de ne pas avoir fait assez pour expliquer la réformes aux femmes de tout le pays. Le gouvernement a cru que la «loi peut être une locomotive qui tire une société vers le progrès», réplique Boya Dembele. Mais la locomotive a perdu ses wagons en cours de route.