Vergers qui gagnent sans cesse du terrain, planteurs qui se multiplient: la fièvre de l'hévéa s'est emparée de la Côte d'Ivoire, premier producteur africain, à la faveur des revenus confortables et réguliers que les paysans en tirent.

«Je suis payé à la fin du mois comme un fonctionnaire», se réjouit Adama Berté, l'un des 36 000 planteurs d'hévéa que comptait le pays en 2009, contre 10 000 en 2000.

Ses 25 hectares exploités à Djidjikro, dans la région de Grand-Lahou (littoral sud-ouest), lui rapportent quelque 2 millions de francs CFÀ (3 050 euros) par mois.

L'hévéa produit dix mois sur douze. Chaque mois, le producteur qui a livré son latex aux industriels se présente à la banque avec sa «fiche de paie».

«Je ne regrette plus d'avoir abandonné l'école», dit à l'AFP M. Berté, montrant fièrement la résidence qu'il vient de faire bâtir.

Premier producteur d'Afrique - depuis que le Liberia lui a cédé la place vers la fin de sa guerre civile (1989-2003) - et huitième mondial, la Côte d'Ivoire a vu se développer l'hévéaculture dans le sud forestier, sur le littoral, dans l'ouest et l'est.

D'une superficie totale de 109 000 hectares en 2007, les vergers ont atteint environ 160 000 hectares en 2009. La production a bondi de quelque 180 000 à 250 000 tonnes sur la même période, selon les chiffres de la filière.

Trésor de la Côte d'Ivoire, dont elle est le premier producteur mondial, le cacao fait les frais de ce succès: jusque dans les régions où il régnait en maître, ouest et est, des agriculteurs en détruisent de vieux plants pour se mettre à l'hévéa.

Le latex a l'avantage de se conserver beaucoup plus longtemps que les fèves de cacao. En outre, «l'or brun» ne connaît que deux récoltes par an. Pour des revenus jugés par nombre d'agriculteurs pas assez élevés, notamment par la faute des diverses taxes.

Selon les données officielles, la moyenne annuelle du prix du kilogramme de latex payé au producteur ivoirien a pratiquement doublé entre 2004 et 2008, s'établissant actuellement à plus de 400 F CFA (0,6 euro).

Ces prix d'achat sont fixés par l'Association des professionnels et manufacturiers du caoutchouc naturel (Apromac), qui chapeaute les organisations du secteur.

«Le planteur perçoit 61% du cours du caoutchouc», le reste revenant aux industriels, explique Jean-Pierre Blondeau, directeur général de la Société africaine de plantations d'hévéas (SAPH), qui revendique 48% de la production nationale.

Du côté des paysans comme des industriels, on s'accorde à dire que le développement de l'hévéa tient largement à la bonne organisation et la stabilité du secteur, contrairement à la filière cacao en crise depuis des années.

Cependant, selon certains acteurs, la ruée vers l'arbre à caoutchouc engendre une industrialisation disproportionnée au regard des récoltes.

Pour une production de 250.000 tonnes, «la Côte d'Ivoire a des usines d'une capacité de 350.000 tonnes», s'insurge M. Blondeau, visant ces usines «qui ne vivent que de l'achat» sans créer de plantations, au risque de surexploiter la ressource.

Mais d'autres, comme Louis Saraka, chef de Tamabo-village à Grand-Lahou, évoquent une menace plus grave: dans leur course au profit, les producteurs se détournent des cultures vivrières.

«Il n'y a plus de terrain pour cultiver du vivrier. Si ça continue, on va avoir faim».