Deux officiers accusés de crimes graves ont été nommés à des postes ministériels dans le gouvernement de transition en Guinée, douchant les espoirs d'une marginalisation des hommes tenus responsables d'une montée des tensions dans ce pays d'Afrique occidentale.

La désignation par décret du lieutenant-colonel Moussa «Tiegboro» Camara et du commandant Claude Pivi a été rendue publique à la télévision d'État mardi soir, plus de 24 heures après l'annonce du reste de l'équipe gouvernementale.

La liste initiale -qui comprenait seulement cinq membres de l'armée, dont aucun n'est accusé de crimes- avait été saluée comme le signe d'une avancée de Conakry vers le retour à un régime civil après 11 mois de dictature militaire.

Le lieutenant-colonel Moussa «Tiegboro» Camara est accusé par une commission de l'ONU d'être l'un des principaux acteurs du massacre du 28 septembre qui a coûté la vie à au moins 157 civils lors d'un rassemblement de l'opposition dans un stade de la capitale. Il a été nommé à un poste ministériel spécial en charge de la lutte contre la drogue.

Quant au commandant Claude Pivi, accusé d'avoir donné l'ordre de torturer des civils, il conserve la fonction de ministre en charge de la sécurité présidentielle.

Leur nomination suscite l'indignation de Corinne Dufka, spécialiste de la Guinée à l'ONG Human Rights Watch. «Pivi et Tiegboro ont été de façon plausible impliqués dans des abus extrêmement graves, dont des actes de torture et des meurtres», a-t-elle souligné. «Leur nomination est un gigantesque pas en arrière».

En décembre 2008, le leader de la junte, Moussa «Dadis» Camara, actuellement en exil, s'est emparé du pouvoir à la faveur d'un coup d'État après la mort du président, l'autocrate Lansana Conté. Il a d'abord promis de remettre rapidement le pouvoir à des civils à l'occasion d'élections auxquelles il ne participerait pas. Puis il avait commencé à laisser entendre qu'il pourrait être candidat, déclenchant la grande manifestation pro-démocratique de septembre.

Son ancien aide de camp, le lieutenant Aboubacar «Toumba» Diakité, a tenté de l'assassiner en décembre, entraînant son départ pour l'étranger, blessé. Peu après, le général Sékouba Konaté, numéro deux de la junte, a négocié avec l'opposition, puis avec Moussa «Dadis» Camara, convaincant ce dernier de rester à l'étranger, et de remettre le pouvoir à un gouvernement de transition -dirigé par un civil- chargé d'organiser des élections dans un délai de six mois. L'accord prévoyait un gouvernement composé de 30 ministres, dont dix issus de la junte.

Pendant des semaines, le premier ministre civil Jean-Marie Doré s'est querellé avec l'armée sur la composition du gouvernement, estimant qu'aucun membre de la junte ne devait pouvoir en faire partie, en raison de son implication dans le massacre du 28 septembre. Les cinq membres de la junte présents sur la liste rendue publique lundi sont des officiers dont on sait qu'ils n'ont pas participé aux exactions.

Les nominations de Pivi et Tiegboro à des postes liés au bureau de la présidence semblent relever d'un compromis destiné à neutraliser tout conflit potentiel. Tous deux doivent occuper des positions au sein du bureau de Konaté et n'ont pas de ministère propre.

«L'important, c'est qu'ils ne sont pas membres du cabinet», a déclaré François Lounceny Fall, porte-parole d'une coalition de partis de l'opposition. «Ils ne participeront pas à des conseils ministériels».

Mais d'autres membres de l'opposition ont jugé leur nomination inacceptable. «Tiegboro figure sur la liste des officiers accusés des crimes commis le 28 septembre», a souligné Ibrahima Sow. «Qu'il ait été nommé dans le gouvernement est une violation flagrante».

L'actuel gouvernement de transition est considéré par beaucoup comme une première vraie chance d'organiser des élections démocratiques en Guinée.