À l'ombre d'un hangar de fortune, Mohammed surveille ses dix ouvriers qui retournent à coups de pelles et de pioches la terre rougeâtre: à Bobi, dans le nord-ouest de la Côte d'Ivoire, on exploite le diamant malgré l'embargo de l'ONU.

Dans ce gros village au coeur de la savane arborée, l'extraction artisanale du diamant brut est l'activité principale. La mine à ciel ouvert, la plus importante de la région, s'étend sur près d'un kilomètre. Des centaines de personnes y travaillent. Pourtant, un embargo des Nations unies vise depuis 2005 l'exportation de la pierre précieuse, au motif qu'elle alimente l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) contrôlant le nord du pays depuis son coup d'État manqué de 2002 contre le président Laurent Gbagbo.

Avant l'interdiction, «on exploitait le diamant dans 25 villages du département de Séguéla (420 km au nord-ouest d'Abidjan), contre seulement 10 aujourd'hui», explique à l'AFP l'exploitant Mohammed Condé.

«Le diamant brut n'est plus bien vendu, les grands investisseurs israéliens et sud-africains ont déserté la zone, à cause de l'embargo», se lamente-t-il. «Le diamant ivoirien ne nourrit plus son homme».

Il fait toutefois vivre encore quelque 5 000 personnes - contre 20 000 avant 2005 - selon les chiffres de la Sodemi, l'administration minière ivoirienne.

Pour l'expert Michel Yobouet, «l'une des grandes faiblesses de l'embargo» est en effet qu'il porte «sur l'exportation et non sur l'extraction».

Le diamant légalement extrait «continue d'être vendu illégalement sur le marché international», pour un trafic estimé à 25 millions de dollars par an (près de 17 millions d'euros), souligne ce membre du processus de Kimberley.

La production de diamants bruts en Côte d'Ivoire «augmente» même, affirmait en juin ce système de certification visant à éliminer du marché mondial le commerce illégal des pierres précieuses pour le financement des conflits: les fameux «diamants de guerre» ou «du sang».

Placés sous l'autorité du puissant Issiaka Ouattara, dit Wattao, l'un des dix «commandants de zone» qui tiennent le nord du pays, les ex-rebelles de Bobi assurent que leur implication dans le trafic est de l'histoire ancienne.

Depuis l'accord de paix de 2007, «nous avons tourné le dos aux diams», affirme un responsable local des FN sous couvert d'anonymat.

Quoi qu'il en soit, les affaires continuent.

Mamadou Diomandé se présente comme «l'envoyé spécial du patron», le mystérieux acheteur pour qui il travaille.

«Avant l'embargo, le diamant de Côte d'Ivoire atterrissait dans les ateliers de taillerie de Belgique, via Abidjan», raconte-t-il. «Le diamant extrait de Bobi transite désormais par le Mali, la Guinée, le Liberia ou la Sierra Leone, avant de se retrouver en Israël ou en Belgique».

Un rapport d'experts de l'ONU publié en octobre soulignait «l'absence de contrôles efficaces aux frontières» favorisant la contrebande vers les pays voisins.

Du côté de l'administration, on juge que le meilleur moyen d'en finir avec cette contrebande serait de lever l'embargo.

L'interdiction «nous a beaucoup pénalisés et n'a plus sa raison d'être», avance un dirigeant de la Sodemi, invoquant la fin de la guerre et le retour - partiel - de l'État au nord.

«Une levée de l'embargo permettra la traçabilité du diamant réclamée par le processus de Kimberley», plaide-t-il.

Au-delà, la Côte d'Ivoire a besoin d'une «modernisation» de son exploitation diamantifère, estimait récemment le président Gbagbo. Qui prévenait: «nous n'allons pas nous contenter de l'exploitation artisanale d'un produit aussi important que le diamant».