Sur les eaux autour du lac Tchad, des dizaines de femmes récoltent la spiruline, une algue salée d'un beau vert intense: un projet pour développer son exploitation dans la région devrait conduire à l'exportation de ce produit à la valeur nutritive exceptionnelle.

«Produit miracle, produit du siècle! Avec 70% de protéines, elle contient cinq à dix fois plus de protéines que la viande, des vitamines A et B12...», s'enthousiasme Mahamat Sorto, coordonnateur du Projet spiruline, développé avec l'aide de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Union européenne (UE).

«Les anciens, qui ne connaissaient pas sa valeur nutritive, l'utilisaient comme médicament ou pour soigner des problèmes de peau. On veut développer son exploitation car elle peut à la fois servir à nourrir des gens dans une région qui souffre de malnutrition et pour commercialiser un produit qui peut avoir du succès dans le monde entier», souligne M. Sorto.

Autour du lac Tchad, la spiruline, mi-algue (en raison de la photo-synthèse) mi-bactérie (parce qu'elle ne dispose pas de noyau), «pousse» naturellement dans des bassins, dégageant une odeur pas forcément très agréable.

Avant, les femmes la récoltaient dans l'eau et la séchaient à même le sable, pour en faire des galettes. Aujourd'hui, grâce au projet, elles filtrent, tamisent, concentrent et sèchent la spiruline, pour en faire des spaghettis, cakes ou gélules.

L'ancien mode d'exploitation «laissait beaucoup d'impuretés dans les galettes. Nous avons mis au point une technique avec une démarche de qualité», explique M. Sorto.

Un marché est en train de naître. Quelque 400 tonnes, produites par environ 1.500 femmes, sont déjà commercialisées chaque année. L'exportation devrait commencer en 2011 après une certification. La spiruline pourrait ainsi devenir un produit de luxe -de beauté ou paramédicale- dans les pays riches.

Le prix du kilo est passé de 1000 à 5000 FCFA (de 1,5 à 7,62 euros). Une manne importante dans une région où les hommes, souvent des pêcheurs, voient leurs revenus chuter avec le rétrécissement du lac Tchad et son appauvrissement en poissons.

«Je peux gagner jusqu'à 100 000 F CFA par mois (152 euros)», se réjouit Arsa Abdoulaye dite Baana, mère de 8 enfants.

«Désormais, c'est moi qui commande à la maison», assure-t-elle, suscitant des rires dans le groupe de femmes occupées à travailler la spiruline. Elle montre un anneau dans une narine et précise: «C'est de l'or et c'est moi qui me le suis offert!"

Baana récolte la spiruline tous les jours à 6H00 du matin. Vers 10H00, elle passe aux opérations de transformation jusqu'à midi, puis retourne dans son foyer s'occuper des tâches ménagères.

«On n'en mangeait pas souvent mais maintenant, oui, depuis qu'on sait que c'est bon pour la santé», affirme-t-elle, jurant que ses enfants mangent sans qu'on les force cette algue très salée. «Ils aiment ça!"

Déjà, les femmes et le projet sont confrontés aux problèmes du lac Tchad, qui a perdu près d'un quart de sa surface en un demi-siècle en raison à la fois d'une surexploitation de son eau et du réchauffement planétaire. Certaines zones où l'on trouvait eau et spiruline se sont taries. «Un jour, tout sera sec», dit Banaa, mais en attendant, «on travaille».

La spiruline «a changé ma vie!», lance cette redoutable commerçante, vantant ses vertus comme produit de beauté: «Avant j'étais trop vilaine maintenant regardez comme je suis belle!"