Une polémique sur la protection des travailleurs humanitaires par les autorités a ressurgi au lendemain du rapt d'un humanitaire français du CICR dans l'est du Tchad, alors que des observateurs craignent une multiplication des enlèvements dans ce secteur.

L'enlèvement lundi dans le village de Kaw d'un agronome de la Croix rouge est survenue moins de trois mois après le rapt, également dans l'est, d'un travailleur grec de l'ONG Médecins sans Frontières, libéré depuis.

«Les humanitaires du CICR et de MSF nous causent trop de problèmes. Ils refusent d'être escortés», a affirmé le général Oki Daggache, de la Coordination nationale d'appui à la force internationale à l'est du Tchad (Conafit).

«Plus grave, ils n'informent jamais les autorités locales de leurs déplacements sur le terrain et donc ils deviennent très difficiles à gérer», a-t-il ajouté.

De source proche des autorités tchadiennes, N'Djamena envisage d'expulser les ONG et organismes refusant les escortes dans cette région qui abrite des dizaines de camps de réfugiés venus du Darfour (ouest du Soudan) et de la Centrafrique ainsi que des déplacés tchadiens. Globalement, on estime à 450000 personnes le nombre de réfugiés et déplacés y résidant.

L'est du Tchad est en proie aux bandits et «coupeurs de route» et les ONG ont souvent dénoncé leurs conditions précaires de sécurité. En mars, Oxfam estimait qu'il y avait «25 attaques d'ONG» tous les mois dans l'est malgré la présence de la force européenne Eufor, relayée depuis par la Mission des Nations unies en RCA et au Tchad (Minurcat).

«On leur dit que c'est dangereux. On leur dit de ne pas y aller. Et après ils y vont et il arrive ce qu'il arrive», affirme, sous couvert de l'anonymat, un Occidental travaillant dans la sécurité 

«Nous ne pouvons accepter des escortes armées si nous voulons rester neutres», rétorque Anna Schaaf, porte-parole du CICR. «Nous travaillons ainsi dans le monde entier».

Toutefois, la porte-parole a souligné que CICR informait toutes les parties prenantes du conflit de ses déplacements. La politique de MSF est similaire.

Des bandes armées -des «malfrats» selon l'expression de N'Djamena- échappent au contrôle des autorités mais aussi des rebelles darfouris comme tchadiens qui affirment mettre un point d'honneur à laisser travailler les humanitaires.

Au Darfour, de l'autre côté d'une frontière poreuse, les enlèvements de personnels humanitaires sont devenus fréquents: le 22 octobre, un Franco-Britannique, travaillant pour le CICR, a été enlevé au Darfour-Ouest (Soudan). Deux femmes de l'ONG irlandaise Goal ont été enlevées le 3 juillet à 100 km au nord-ouest d'El-Facher, la capitale du Darfour-nord. Plusieurs autres rapts de personnels expatriés ou locaux ont eu lieu cette année, notamment celui d'une Française et d'une Canadienne de l'ONG AMI lors duquel deux employés soudanais ont été tués.

Or entre le Tchad et le Soudan, «on passe la frontière comme on veut. Il y a des modus operandi similaires», constate une source diplomatique, en soulignant que ces enlèvements surviennent «dans un contexte général inquiétant» au niveau sécuritaire.

De source soudanaise, on craint que certains ravisseurs vendent leurs otages à des groupes politiques au religieux comme cela s'est déjà fait en Irak ou au Mali.

«Avant, les humanitaires ne craignaient pas les enlèvements. On constate qu'il y en a de plus en plus. On est malheureusement à un changement d'époque au Tchad», assure un membre d'une ONG qui évoque un possible changement de stratégie de ces organisations.