Au début du mois de mars, la Cour pénale internationale a lancé un mandat d'arrêt contre le président du Soudan, Omar el-Béchir. Depuis, son régime se déchaîne contre les organisations humanitaires présentes au Darfour et en a expulsé plusieurs, mettant en péril des centaines de milliers de gens. L'attaque contre Médecins sans frontières est-elle liée à ces actions? Selon Fabienne Hara, qui a dirigé la mission de l'ONU au Soudan jusqu'en 2007, un tel lien est impossible à établir avec certitude, mais il est plus que probable. La Presse l'a jointe à New York, où elle dirige le bureau local de l'International Crisis Group.

Q Le kidnapping de trois employés internationaux de Médecins sans frontières peut-il être lié à l'inculpation du président du Soudan, Omar el-Béchir?

 

R C'est évident que les deux événements sont liés, bien qu'il soit très difficile de faire un lien direct entre les ravisseurs et les autorités soudanaises. Mais en même temps, ce kidnapping est cohérent avec les signaux de menace de Khartoum, qui se multiplient depuis que la Cour pénale internationale a menacé de traduire le président Béchir en justice.

Q Quels sont ces signaux?

R Au cours des dernières années, les travailleurs humanitaires étaient de plus en plus harcelés au Darfour. Il y a eu des attaques, des vols de voitures, la mission de l'ONU a été attaquée.

Q Qui étaient les agresseurs?

R Au Darfour, il y a des dizaines de groupes armés. Les trois grands mouvements rebelles ont éclaté en une vingtaine de petites factions. La même chose pour les milices pro-gouvernementales. Et les commandants de ces groupes jouissent d'une certaine autonomie. Mais jusqu'à récemment, le gouvernement du Soudan voulait montrer qu'il maîtrisait toujours la situation. Depuis l'inculpation qu'ils ont reçue comme une claque en pleine figure, les Soudanais veulent montrer qu'ils peuvent lâcher prise et que, alors, ce sera le chaos.

Q Politiquement, que cherche le Soudan?

R Depuis que l'inculpation de Béchir est dans l'air, le Soudan fait du lobbyisme pour que le Conseil de sécurité de l'ONU suspende la procédure. C'est possible en vertu de l'article 16 du traité de Rome. Le Conseil de sécurité est d'ailleurs très divisé à ce sujet.

Q Si jamais le Soudan devait sombrer dans le chaos, faudrait-il en conclure que l'inculpation de Béchir était une erreur?

R Notre groupe avait appuyé l'inculpation, mais nous avions prévu qu'il risquait d'y avoir des effets secondaires, comme ce que l'on voit maintenant. Si jamais le président fait mine de vouloir reprendre le processus de paix, il faudrait envisager de suspendre les poursuites.