Dans un jugement historique, un tribunal ouest-africain a estimé lundi que l'État du Niger était «responsable» dans une affaire d'esclavage, n'ayant pas été en mesure de protéger une jeune femme contre cette pratique qui perdure dans le pays malgré son interdiction.

La cour de justice de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), saisie par la victime, a tenu «la République du Niger (pour) responsable de l'inaction» de ses services administratifs et judiciaires, selon l'arrêt lu par Aminata Malle-Sanogo, la présidente de ce tribunal mobile qui se déplace en fonction des affaires à traiter.

Saisie pour la première fois pour une affaire d'esclavage, cette instance a estimé que les juges nigériens n'avaient pas rempli leur mission de protection de la victime.

«C'est absolument historique car c'est le tout premier verdict rendu sur le phénomène de l'esclavage par la cour de la Cédéao», a estimé Ilguilas Weila, président de l'ONG nigérienne de lutte contre l'esclavage Timidria.

Il a souhaité que cette décision «fasse jurisprudence pour les autres États de la Communauté, notamment le Mali et le Burkina Faso où la pratique esclavagiste persiste toujours». Hors Cédéao, il a également cité la Mauritanie et le Tchad.

La plaignante, Adidjatou Mani Koraou, aujourd'hui âgée de 24 ans, a été vendue à l'âge de 12 ans pour 240.000 francs CFA (366 euros) par un esclavagiste touareg et était devenue la cinquième épouse d'un habitant de la région de Birni N'Konni (centre-sud nigérien), pendant neuf ans.

Elle réclamait 50 millions de FCFA de «réparations» à l'État. Le tribunal lui a accordé 10 millions.

«Je remercie Allah d'être libre comme vous tous. Avec les 10 millions, je vais m'occuper de moi-même, me faire plaisir et je vais essayer aussi de monter un petit commerce», a-t-elle déclaré à l'AFP à la sortie du tribunal, esquissant un sourire, un bébé dans les bras.

L'un de ses avocats, Abdourahame Chaïbou, a souligné qu'«avec cette décision les choses (allaient) désormais changer au Niger car on ne peut pas permettre qu'une telle pratique survive».

Dans une enquête réalisée en 2003, Timidria a recensé plus de 870.000 esclaves dans ce pays de 12 millions d'habitants. Ces chiffres sont fortement contestés par les autorités qui ont lancé en novembre 2007 leur propre enquête, dont les résultats n'ont toujours pas été publiés.

Depuis une décennie, une polémique oppose les autorités et les anti-esclavagistes au Niger.

L'esclavage, officiellement aboli en 1960, est théoriquement passible de 10 à 30 ans de prison ferme dans ce pays.

Soutenue par Timidria et l'ONG Anti-Slavery International, Adidjatou Mani Koraou avait d'abord saisi les tribunaux locaux. Après avoir gagné en première instance, elle avait été déboutée en appel.

Elle avait alors demandé à la cour de la Cédéao de condamner l'État du Niger pour n'avoir pas été en mesure de la protéger contre l'esclavage.

Selon Anti-Slavery International, la jeune femme a vécu dans un état de «soumission totale», forcée à travailler au foyer et dans les champs de son maître, subissant également des violences sexuelles. Elle a donné naissance à trois enfants, dont deux ont survécu.

L'État Nigérien n'a pas été jugé responsable des discriminations qu'elle a subies pendant neuf ans, estimant que ces faits étaient imputables à son ancien maître.

Le tribunal ouest-africain ne prononce pas de peines d'emprisonnement. Ses verdicts donnent généralement lieu à des «rappels à l'ordre contre les États», afin qu'ils respectent leurs engagements vis-à-vis de la communauté internationale. Il peut aussi réclamer des dommages et intérêts pour les victimes.