Le pape François a-t-il honoré un évêque qui avait protégé un prêtre coupable d'avoir sexuellement agressé de jeunes garçons? Durant son voyage au Chili, François a traité les accusateurs de menteurs. Depuis, il a été forcé de nommer un envoyé spécial pour tirer les choses au clair. Et la publication cette semaine d'une lettre de 2015 le fait mal paraître.

LE PRÊTRE

Fernando Karadima est un prêtre qui a longtemps oeuvré auprès des jeunes gens de bonne famille de Santiago. Des plaintes d'agressions sexuelles ont été déposées dès les années 80, mais il a fallu attendre 2004 pour les premières enquêtes canoniques. Après sa retraite, en 2006, il a finalement été condamné en 2011 par l'Église à finir sa vie dans la solitude d'un couvent de Santiago (il avait alors 81 ans). Son cas a été rendu public dans le New York Times en 2010, mais un procès criminel a avorté pour cause de prescription. Un procès civil de 450 millions US est en cours contre le diocèse de Santiago. Pour compliquer le tout, certains des avocats de Karadima faisaient partie d'un cabinet ayant joué un rôle dans le coup d'État militaire de 1973 contre Salvador Allende.

L'ÉVÊQUE

Juan Barros a été formé comme prêtre par le père Karadima. Certaines victimes affirment qu'il a détruit les premières plaintes contre Karadima dans les années 80, alors qu'il était secrétaire d'un cardinal chilien, et qu'il a été témoin d'agressions commises par Karadima contre de jeunes garçons. En 2004, il a été nommé évêque auprès de l'armée chilienne. En 2015, les évêques chiliens avaient négocié avec le Vatican pour que Mgr Barros et deux autres évêques formés par Karadima perdent leur poste et passent un an en « congé sabbatique », mais finalement, le pape François l'a nommé évêque d'Osorno, ville de 150 000 habitants du sud du pays. Des prêtres d'Osorno se sont publiquement opposés à sa nomination et un groupe de laïcs a été formé pour réclamer qu'on le démette de ses fonctions. Selon Sergio Carrasco, éditeur du mensuel chilien Voces Católicas, près d'un millier de personnes font partie du groupe de laïcs anti-Barros.

LES LETTRES

En 2015, une lettre détaillant l'inaction de Mgr Barros dans les années 80 et 90 a été envoyée à l'archevêque de Boston, Seán O'Malley, par une victime de Karadima habitant à New York. Le cardinal l'a remise au pape François avant qu'il ne nomme Mgr Barros évêque d'Osorno. La lettre a aussi été transmise à la commission du Vatican sur les agressions sexuelles de mineurs, a témoigné une ancienne membre de la commission, Mary Collins, elle-même victime irlandaise de prêtres pédophiles. La lettre, qui avait été discutée dans des médias catholiques en 2015, a été rappelée cette semaine par un article de l'Associated Press. Dans plusieurs entrevues, Mme Collins, qui a démissionné de la commission du Vatican en 2017 parce qu'elle n'était pas assez sévère à ses yeux, s'est déclarée indignée de la nomination de Mgr Barros par le pape François.

LE VOYAGE

Le soutien accordé par le pape à Mgr Barros, qui a fait partie des invités d'honneur à plusieurs messes de la visite papale de janvier au Chili, a monopolisé la couverture médiatique du voyage de François. Il a notamment qualifié les accusations contre Mgr Barros de calomnies, avant de s'excuser d'avoir utilisé ce terme. Des manifestants contre le pape ont dû être dispersés par la police avec des gaz lacrymogènes et une cinquantaine d'entre eux ont été arrêtés. Une dizaine d'églises ont également été la cible d'attentats à la bombe. Selon les médias chiliens, les manifestations attiraient généralement quelques centaines de personnes et visaient non seulement François, mais également les politiques sociales du gouvernement chilien, notamment les droits de scolarité universitaires, ainsi que la reconnaissance des revendications territoriales des autochtones mapuches ainsi que de la Bolivie. « Il y a eu plusieurs problèmes logistiques avec certaines messes, avec des lieux trop éloignés ou trop petits, dit M. Carrasco de Voces Católicas. Ça a donné l'impression que le pape n'avait pas attiré les foules. »

LE CARDINAL

Fin janvier, le cardinal maltais Charles Scicluna a été chargé d'évaluer les accusations contre Mgr Barros. En 2005, il avait dirigé l'enquête contre Marcial Maciel Degollado, le fondateur mexicain des Légionnaires du Christ, un ordre très conservateur. À l'issue de cette enquête, le pape Benoît XVI avait condamné Degollado à terminer sa vie dans la solitude et la prière, dans une maison de retraite pour prêtres en Floride où il est mort en 2008. « C'est la meilleure solution possible à l'affaire Barros », dit Thomas Reese, théologien jésuite qui enseigne à l'Université Georgetown, à Washington. « L'Église n'a pas de structure canonique pour enquêter sur les évêques qui protègent les prêtres pédophiles. Le pape François a plusieurs fois répété qu'il n'y avait pas de preuves que Barros avait protégé Karadima. Ça veut dire que si Scicluna en trouve, Barros sera puni. »

PHOTO CARLOS VERA, ARCHIVES REUTERS

Le prêtre Fernando Karadima est escorté par des gendarmes à l'intérieur de la Cour suprême chilienne, à Santiago, le 11 novembre 2015.

PHOTO CARLOS GUTIERREZ, ARCHIVES REUTERS

L'évêque Juan Barros (au centre) prend part à un service religieux dans la cathédrale d'Osorno, le 21 mars 2015.