Des experts du milieu juridique se sont rassemblés récemment pour se pencher sur une question qui semble de moins en moins hypothétique en ce moment: est-ce que le président américain peut mettre fin unilatéralement à l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA)?

Cette question devient de plus en plus pertinente, car le président Donald Trump répète toujours sa menace de déchirer l'accord commercial qui lie les États-Unis, le Canada et le Mexique.

Ce débat a été soulevé à l'Université Duke, en Caroline du Nord, lors d'une conférence qui portait sur le retrait d'accords internationaux, et où l'enjeu du commerce a été abordé spécifiquement.

Curtis Bradley dit être convaincu que le président peut agir seul. Son point de vue a du poids: il codirige la prestigieuse revue internationale de droit de l'American Law Institute. Et il croit très peu à l'idée que le président ne puisse décider sans l'accord du Congrès.

Son argument tient sa source d'une contradiction apparente dans la Constitution américaine: l'article un donne au Congrès le pouvoir du commerce, mais l'article deux accorde au président le pouvoir des affaires internationales.

Ces experts étaient appelés à débattre d'un phénomène rare; les présidents ne menacent généralement pas de mettre fin à des accords commerciaux.

«Je connais ces arguments (que le président ne peut le faire). Mais je pense qu'ils ne sont pas exacts», a-t-il dit en entrevue en marge de la conférence, qui se tenait du 27 au 28 octobre.

«Au bout du compte, pendant au moins les 100 dernières années, les présidents ont agi au nom des États-Unis pour décider s'ils se retiraient des traités... Nous ne le faisons pas souvent, faut-il rappeler. C'est un événement rare, (mais) le Congrès ne s'y est (presque) jamais opposé», a-t-il soutenu.

Les accords commerciaux sont fondamentalement dans la même catégorie que les traités internationaux comme l'accord de Paris, selon lui.

«Il n'y a rien de spécial pour le commerce», a-t-il expliqué.

«Le (Congrès) ne pourrait jamais faire l'ALENA, ne pourrait jamais faire l'entente Corée-États-Unis. Je déteste être critique ainsi, parce que j'essaie fort d'écouter (les autres arguments), mais plusieurs personnes dans la salle étaient perplexes.»

Curtis Bradley reconnaît cependant qu'il existe plusieurs valeurs inconnues dans l'équation.

Une source d'incertitude est ce qui arriverait avec la loi que le Congrès a adoptée en 1994 pour mettre en oeuvre l'ALÉNA. Même si Donald Trump se retire, aucun président ne peut, en claquant des doigts, éliminer une loi.

Ce qu'on ne sait pas encore non plus, c'est si le Congrès tentait de miner les efforts du président. C'est une possibilité bien lointaine pour l'instant, mais le Congrès pourrait par exemple adopter une loi pour faire un examen approfondi avant tout retrait.

Un membre du Congrès fait de l'ALENA son cheval de bataille: Jeff Flake. Ce sénateur qui ne se représentera pas à la fin de son mandat, confronte le président sur le commerce et a déjà annoncé qu'il ferait obstruction sur des nominations de l'administration pour contester ses positions sur l'accord commercial.

Par ailleurs, il y aura fort probablement des poursuites. M. Bradley croit que certaines parties lésées financièrement par ce retrait pourraient le contester et forcer le système judiciaire à trancher.

Mais d'autres experts ont des réflexions bien différentes de Curtis Bradley.

Joel Trachtman, de la Fletcher School, a défendu l'argument selon lequel président ne pourrait agir seul.

Selon lui, un retrait unilatéral de la part de M. Trump serait sans précédent. M. Trachtman a cité 112 traités qui ont été abrogés aux États-Unis et il n'a trouvé presque aucun exemple où le président aurait agi seul.

«C'est seulement un très petit nombre, un à quatre», a-t-il plaidé.

C'est particulièrement difficile pour le président dans ce cas, a-t-il ajouté.

D'abord, l'ALENA touche le commerce, un pouvoir qui incombe au Congrès. Ensuite, la loi du Congrès sur l'ALENA reste en place. Et finalement, il souligne que la loi de 1994 prévoit qu'un retrait mettrait fin à l'accord de commerce entre le Canada et les États-Unis, mais elle ne fait pas les mêmes garanties pour l'ALENA.

M. Trachtman mentionne également une décision de la Cour suprême datant de 1952 qui freinait les pouvoirs du président au profit du Congrès.