Qu'il s'agisse de partir en Syrie ou de passer à l'action violente au nom de l'islam, comme à Bruxelles mardi et Paris en 2015, les cellules djihadistes comportent de nombreuses fratries, pour des motifs logiques et tactiques, selon psychiatres et psychologues spécialisés.

Les frères Khalid et Ibrahim El Bakraoui à Bruxelles mardi, les frères Merah en 2012 à Toulouse dans le sud-est de la France, les frères Kouachi lors de l'attaque contre Charlie Hebdo à Paris, les frères Tsarnaev qui ont monté l'attentat à la bombe contre le marathon de Boston en 2013 : au cours des dernières années, de nombreux frères de sang sont devenus frères d'armes pour semer la terreur chez ceux qu'ils considèrent être des «ennemis de l'islam».

Et dans les listes de procédures judiciaires ouvertes, notamment en France et en Belgique, pour cause de départ ou de retour de zones tenues par le groupe État islamique en Syrie et en Irak, les patronymes identiques, souvent par groupes de trois ou quatre, sont nombreux.

«C'est un phénomène tout à fait naturel», explique à l'AFP le psychiatre et ancien agent de la CIA Marc Sageman, l'un des premiers à avoir souligné, dans un livre dès 2003, le phénomène. «On développe son identité sociale d'abord en parlant à ses proches. Et les proches, ce sont bien entendu d'abord les frères et les amis d'enfance».

«C'est ce que j'appelle l'activation de l'identité sociale. C'est une question de proximité. C'est pour ça qu'il y a dans les groupes djihadistes tant de frères, parfois de soeurs, de copains de quartier. Ils grandissent ensemble. Ils rouspètent, s'inventent une identité de défenseurs d'un islam agressé, de femmes et d'enfants tués dans des bombardements aériens. Ils se radicalisent, se confortent les uns les autres», dit-il.

Face à la surveillance étroite mise en place, au lendemain du 11 septembre 2001, dans les mosquées et les lieux de culte, ces petits groupes familiaux, impossibles à infiltrer de l'extérieur, se referment sur eux-mêmes, apprennent en quelques clics les techniques de dissimulation.

«C'est une question de confiance», ajoute Marc Sageman. «Tu te fies à un proche, naturellement. Et quand il s'agit d'entraîner quelqu'un avec toi, la cible la plus logique est ton petit frère ou ton grand frère. C'est le même phénomène avec les gangs de rue. Il n'y a pas besoin de lavage de cerveau, d'endoctrinement».



Bulle de radicalisation

Patrick Amoyel, psychanalyste et professeur de psychopathologie à Nice dans le sud-est de la France, travaille, notamment au sein d'une association baptisée Entr'autres, à la déradicalisation de jeunes séduits par les thèses djihadistes. Au contact des familles, il a remarqué la présence de nombreuses fratries.

«En leur sein, l'influence fonctionne dans les deux sens», dit-il à l'AFP. «Ils s'enferment rapidement dans une sorte de confusion psychique. Il y a quelque chose d'un peu fou, d'un peu irrationnel dans ces processus. Une prise de risque un peu adolescente, même s'ils ne sont pas toujours adolescents».

Psychologue à l'association Entr'Autres, Amélie Boukhobza ajoute : «C'est souvent le plus jeune, qui a plus de choses à prouver, une place à trouver, qui influence l'aîné. L'aîné n'a pas nécessairement l'ascendant».

Une fois que cette bulle de radicalisation s'est mise en place, souvent à l'insu d'autres membres de la famille qui constatent simplement que deux ou trois frères se sont rapprochés et se voient souvent, murmurent à leur approche, elle acquiert une cohérence et une résistance à toute épreuve.

«Cela peut s'élargir aux cercles d'amis proches, avec par exemple le meilleur copain qui épouse religieusement la soeur, et ça crée des cellules très homogènes et confusionnelles du point de vue psychique et affectif», ajoute Patrick Amoyel. «À ce niveau intervient une consolidation affective mutuelle qui est très solide, difficile à briser. On l'a vu très souvent. Et ça ne relève pas du tout de la maladie mentale, ce n'est pas de l'ordre du psychotique ou du psycho-pathologique».

«Ça tourne en boucle, l'un influence les autres et vice-versa, et ça peut partir en vrille», dit-il, évoquant «une envie de passer la limite, d'aller vers la rébellion absolue. Et ça peut finir en action terroriste».

PHOTO AGENCE FRANCE-PRESSE

Chérif Kouachi (à gauche)