Ils sont quatre millions, coincés dans des camps surpeuplés, sans espoir de retourner chez eux, sans possibilité de redémarrer leur vie en exil. Quatre millions de femmes, d'hommes et d'enfants dont la vie a été interrompue par un conflit qui s'éternise et dont le monde ne s'émeut plus. Quatre millions de Syriens bloqués en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Irak et en Égypte.

Quatre millions d'existences en suspens.

En cette Journée mondiale des réfugiés, plusieurs organismes d'entraide québécois s'associent pour braquer les projecteurs sur la pire crise humanitaire que le monde ait vécue depuis le génocide rwandais. «On n'entend pas assez parler de la guerre en Syrie. Après quatre ans, c'est devenu un conflit chronique», se désole le travailleur humanitaire Patrick Robitaille.

Coordonnateur pour Médecins sans frontières, il revient tout juste des camps de réfugiés de la Jordanie. «Quand on voit la situation sur le terrain, on n'a pas le choix de se sentir interpellé. Il faut cesser de regarder ce conflit uniquement avec des lunettes politiques. Ces réfugiés sont des gens ordinaires qui ont besoin d'aide de toute urgence.»

«On parle beaucoup de terrorisme et du groupe État islamique, mais la réalité est tellement différente, ajoute sa collègue Justine Lesage, d'Oxfam-Québec. Un réfugié n'est pas parti de rien pour se retrouver devant rien. C'est un chauffeur de taxi, un ingénieur, une enseignante, c'est vous et moi. Il n'avait pas le choix de fuir son pays. Et il a tout perdu.»

Les pays voisins de la Syrie accueillent 95% des réfugiés, mais leurs capacités sont limitées. Pas moins du tiers de la population du Liban est désormais composé de réfugiés, syriens pour la plupart. Jean-Baptiste Lacombe, lui aussi de retour de mission pour Oxfam-Québec, a été témoin de moments tendus dans les régions libanaises où se sont installés les réfugiés. Il est surpris que ce pays instable n'ait pas encore explosé sous la pression.

Malgré l'ampleur de la crise, trop de Canadiens détournent le regard, regrette Anne Sainte-Marie, d'Amnistie internationale. «Le conflit syrien bat tous les records d'indifférence. Au début des années 80, le Canada a accueilli 60 000 boat people vietnamiens. Aujourd'hui, on a du mal à accueillir 10 000 réfugiés syriens. Où sont passées notre solidarité et notre humanité?»

Victoire douce-amère

Mme Sainte-Marie rappelle qu'il a fallu bien des pressions pour arracher à Ottawa la promesse d'accueillir 10 000 Syriens en trois ans. Une victoire douce-amère, dit-elle. «On craint que cet accueil, s'il a lieu, se fasse au détriment des réfugiés du reste de la planète. Autre source d'inquiétude, le gouvernement exige que 60% des immigrants syriens soient parrainés par la société civile plutôt que pris en charge par l'État. Ça risque d'être difficile, au moment où le gouvernement coupe dans tous les organismes d'entraide.»

Pour maintenir la pression sur le gouvernement, Amnistie internationale a lancé une pétition en ligne demandant à Ottawa de respecter sa promesse d'offrir l'asile à 10 000 Syriens. Vendredi, l'organisme avait recueilli 181 des 10 000 signatures qu'il espère récolter.

Journée soulignée

Sur le thème Unis pour la Syrie, la Journée mondiale des réfugiés sera soulignée aujourd'hui par des kiosques et des ateliers culturels, de 11h à 18h, devant les bureaux d'Action Réfugiés Montréal (ARM), à l'église Saint James The Apostle, au 1439, rue Sainte-Catherine Ouest. Une marche de trois kilomètres retraçant le parcours des migrations forcées, organisée par ARM et le bureau montréalais du Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU, débutera à 13h à partir des résidences du YMCA, au 4039, rue Tupper, près de la station de métro Atwater.

Syriens réfugiés dans les pays voisins :

• 1 698 472 en Turquie

• 1 183 109 au Liban

• 625 178 en Jordanie

• 244 731 en Irak

• 136 661 en Égypte

Source: Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU, 12 mars 2015