Néél Eigene se souvient du jour où il a quitté Haïti : le 11 juin 2007. Huit ans plus tard, l'agriculteur craint d'y être renvoyé de force, alors que le Canada lèvera le 1er juin la suspension temporaire des renvois vers la Perle des Antilles ainsi que vers le Zimbabwe.

« Je n'ai plus rien là-bas », a dit hier à La Presse l'agriculteur dans la cinquantaine, qui participait à un rassemblement devant les bureaux de Citoyenneté et Immigration Canada, au centre-ville de Montréal.

Le Comité d'action des personnes sans statut demande à Ottawa une « mesure immédiate, globale et collective » de régularisation des quelque 3200 Haïtiens et 300 Zimbabwéens concernés, sauf pour ceux qui seraient accusés de crime, explique son porte-parole, Serge Bouchereau.

Le ministre de l'Immigration, Chris Alexander, n'a pas commenté cette demande, mais son porte-parole, Kevin Ménard, a indiqué dans un échange de courriels avec La Presse que « le Canada possède l'un des systèmes d'immigration les plus justes et généreux au monde ».

Le gouvernement canadien avait instauré en 2004 une suspension temporaire des renvois vers Haïti et en 2002 vers le Zimbabwe. En vertu de cette mesure, les gens dont la demande de statut de réfugié était refusée n'étaient pas renvoyés dans leur pays d'origine.

En annonçant la levée de cette mesure en décembre dernier, estimant que ces deux pays étaient désormais suffisamment sécuritaires, Ottawa avait invité les ressortissants concernés à présenter une ultime demande de résidence permanente pour des raisons d'ordre humanitaire.

Environ 20 % des gens l'ont fait, estime M. Bouchereau, mais « rien ne garantit qu'elle sera acceptée ». Et si plusieurs ne l'ont pas fait, c'est que la démarche coûte cher, justifie-t-il : 500 $ par adulte et 150 $ par enfant. « Imaginez une famille de quatre ! »

Appui politique

Les partis de l'opposition à Ottawa appuient la demande du Comité d'action des personnes sans statut. « On pense qu'il ne faut pas aller de sursis en sursis, pourquoi pas proposer dès maintenant une solution globale ? », s'interroge le chef du Bloc québécois, Mario Beaulieu.

« Tu ne peux pas [laisser des gens] commencer à fonder une famille, à se trouver du travail, à s'implanter dans la communauté et plusieurs années plus tard dire : "On se donne le droit de vous renvoyer chez vous" », ajoute Alexandre Boulerice, député néo-démocrate de Rosemont-La Petite-Patrie.

Les élus de l'opposition doutent par ailleurs que la situation en Haïti et au Zimbabwe permette d'assurer la sécurité des ressortissants que le Canada y renverrait.

« Il y a deux ou trois jours, il y a un professeur d'université qui s'est fait descendre en Haïti. Il y a des prisonniers politiques en Haïti. », soutient Serge Bouchereau, du Comité d'action des personnes sans statut.

Le site internet du gouvernement canadien recommande aux voyageurs se rendant dans ces pays « de faire preuve d'une grande prudence », évoquant « des tensions politiques persistantes » en Haïti et une « situation imprévisible en matière de sécurité » au Zimbabwe.

Ottawa recommande même « d'éviter tout voyage non essentiel » dans certains quartiers de la capitale haïtienne, Port-au-Prince, « car les conditions de sécurité y sont particulièrement instables et dangereuses ».

Las de voir les appels au gouvernement conservateur rester sans réponse, le Comité d'action des personnes sans statut organise une manifestation, dimanche à 14 h, qui partira de la station de métro Saint-Michel pour se rendre au parc Jarry.

Pays ou régions vers lesquels le Canada n'effectue pas de renvoi

• Afghanistan (depuis 1994)

• République démocratique du Congo (depuis 1997)

• Irak (depuis 2003)

• Somalie (pour certaines régions, depuis 2011)

• Bande de Gaza (depuis 2012)

• Syrie (depuis 2012)

• Mali (depuis 2013)

• République centrafricaine (depuis juin 2014)

• Soudan du Sud (depuis novembre 2014)

• Libye (depuis mars 2015)

• Népal (depuis avril 2015)

• Yémen (depuis mai 2015)

• Haïti (jusqu'au 1er juin 2015)

• Zimbabwe (jusqu'au 1er juin 2015)