Après Philippe Couillard, la semaine dernière, c'est au tour de Stephen Harper de faire une visite en Chine, ces jours-ci. Osera-t-il, contrairement à son homologue québécois, aborder la question des droits de l'homme avec les autorités chinoises? C'est ce que lui ont demandé des députés et la famille d'un prisonnier chinois ayant étudié à Montréal, qui implorent le premier ministre canadien d'exiger sa libération.

Qu'a-t-il fait pour se retrouver en prison, cet ancien étudiant chinois?

Wang Bingzhang - c'est son nom - a été l'un des premiers Chinois à étudier à l'étranger, il y a de nombreuses années. Après avoir découvert la démocratie, il a fondé le Mouvement démocratique chinois d'outre-mer, ce qui dérangeait les autorités de Pékin.

D'accord, mais en quoi cela concerne-t-il le Canada?

En fait, ça concerne un peu tout le monde! M. Wang a été enlevé au Viêtnam en 2002 par des agents chinois. Il a ensuite été jugé dans un «procès bidon», selon sa fille qui est originaire de Montréal et qui est d'ailleurs interdite de séjour en Chine. De plus, M. Wang purge une peine de prison à vie en isolement, ce qui est considéré comme de la torture par les organisations de défense des droits de l'homme. Il a aussi subi trois AVC en prison.

C'est terrible. Alors, il va en parler, Stephen Harper?

Bonne question! C'est justement en fin de semaine qu'il rencontrera le président et le premier ministre chinois. Son bureau indique qu'il abordera avec eux la question des droits de l'homme, sans préciser s'il mentionnera spécifiquement le cas de M. Wang.

Mais pourquoi tout le monde hésite à parler de cela avec les Chinois?

L'argent, mon ami, l'argent. «Le marché chinois obsède tout le monde et tout le monde veut y accéder. Tous les pays ont peur de déranger la Chine, ils veulent mettre toutes les chances de leur côté», explique Jean-François Lépine, qui a été correspondant à Pékin pour Radio-Canada et qui travaille maintenant à la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. Il rappelle que le premier ministre Harper s'était montré très ferme envers la Chine à son arrivée au pouvoir, en 2006. Les transactions avec l'empire du Milieu avaient par la suite été «ralenties pendant plusieurs mois».

Il doit bien y en avoir qui mettent leurs culottes?

Pas beaucoup. Le premier ministre Philippe Couillard a évité la question, la semaine dernière. Le printemps dernier, le président François Hollande a timidement évoqué «les droits de l'homme auxquels la France est attachée» alors qu'il accueillait son homologue chinois.

Je ne peux pas croire que les Américains ne font rien!

Ils élèvent un peu la voix. La conseillère de Barack Obama a dit jeudi qu'elle était «très inquiète» du sort réservé aux défenseurs des droits de l'homme en Chine, à quelques jours de la visite du président américain à Pékin. «Les États-Unis ont un tel pouvoir d'attraction des investissements chinois qu'ils peuvent se permettre de s'exprimer sur la question, estime Jean-François Lépine. Le Canada peut aussi se le permettre, si c'est fait habilement, car les Chinois sont très intéressés par nos richesses naturelles.»

Ah, voilà! Et ça change quelque chose?

Hum... Lentement, mais sûrement, comme dit l'adage. «Toutes les pressions sont bonnes à faire, croit Jean-François Lépine, surtout si ça s'accompagne de gestes.» Il cite en exemple l'appui à des organismes locaux ou à la formation des tribunaux. Les pays scandinaves, «qui sont courageux en général sur les questions de justice et de droits de l'homme», font ce genre de choses qui auront assurément une incidence. Un jour.