Entre une Michaëlle Jean qui n'est pas africaine et un Pierre Buyoya qui a pris deux fois le pouvoir à la faveur d'un coup d'État, Jean Claude de l'Estrac se présente comme le seul candidat capable de faire consensus dans la course à la succession d'Adbou Diouf à la tête de la Francophonie. C'est le message que cet ancien ministre des Affaires étrangères de Maurice est venu porter cette semaine à Ottawa et à Québec.

Jean Claude de l'Estrac sait très bien qu'Ottawa et Québec soutiennent la candidature de Michaëlle Jean au poste de secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), mais il a tout de même fait le voyage pour venir rencontrer le ministre fédéral de la Francophonie, Christian Paradis, hier à Ottawa, et son homologue québécoise Christine St-Pierre, cet après-midi à Québec.

«Je fais la tournée de tous les pays qui comptent au sein de la Francophonie, dit l'actuel secrétaire général de la Commission de l'océan Indien. Il était absolument normal que le candidat que je suis vienne se présenter personnellement aux autorités canadiennes, présenter son programme, ses idées.»

L'objectif de cet ancien ministre mauricien est en fait d'apparaître comme le deuxième choix d'Ottawa et de Québec (ainsi que de Fredericton, qui a aussi une voix à l'OIF), puisque l'élection du secrétaire général doit faire l'objet d'un consensus.

De Michaëlle Jean, il ne dira aucun mal au cours de l'entrevue d'une heure qu'il a accordée à La Presse, hier, mais il est clair pour lui que l'OIF doit être dirigée par un Africain, «pour préserver sa diversité».

Il rejette aussi du revers de la main l'argument de l'ancienne gouverneure générale du Canada qui affirme qu'il est temps que l'OIF soit dirigée par une femme. «L'OIF doit évidemment faire de plus en plus de place aux femmes, et c'est d'ailleurs le thème du sommet de Dakar. [...] Mais ça ne peut pas être le critère déterminant pour diriger l'organisation.»

Mission économique

L'OIF doit «évoluer» et se donner une mission de développement économique, croit Jean Claude de l'Estrac, dont la «proposition phare» est la création d'une agence de promotion de l'industrialisation.

«Il faut du co-investissement, il faut du codéveloppement. [...] On ne peut pas parler de solidarité francophone, on ne peut pas parler d'espace économique francophone alors qu'il y a si peu de connexions entre les entreprises. La francophonie de l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] voit la francophonie du Sud uniquement comme un marché à exploiter. Je veux renverser cela et je sais que c'est possible.»

Faire avancer la démocratie

Jean Claude de l'Estrac reconnaît que l'OIF est composée d'un certain nombre de pays peu démocratiques, mais il croit que ceux-ci doivent s'asseoir à la table de l'OIF. «Si vous voulez faire avancer la démocratie, il faut discuter avec tout le monde. Si vous voulez faire uniquement un club de vertueux, on serait très peu nombreux. Il faut essayer d'élargir le cercle vertueux.

«Si vous regardez l'histoire de la démocratie en Afrique, poursuit-il, vous ne pouvez pas dire que nous sommes en recul. Il y a des avancées.» Il cite l'exemple de Madagascar, où l'implication de l'OIF «a permis les premières élections libres et transparentes».

L'homme de 66 ans, autrefois journaliste, estime qu'il «faut faire pression» et que l'actuel secrétaire général de l'OIF, Abdou Diouf, «n'a pas été inerte, mais [qu'] il a été discret» au sujet de ses interventions diplomatiques. «Je serais peut-être un peu moins discret, confie-t-il, je suis aussi un homme de communication.»

Jean-Claude de l'Estrac en trois dates

> 1948: Il est né à Quatre-Bornes, troisième ville de Maurice. Avec ses racines françaises, indiennes et malgaches, il est l'exemple parfait du métissage mauricien. Il a trois enfants et sept petits-enfants.

> 1965: À 17 ans, il fonde son propre journal avant de passer au quotidien L'Express, trois ans plus tard.

> 1976: Il quitte le journalisme pour entrer en politique, dans l'opposition. Il sera ensuite titulaire de différents ministères: Affaires étrangères, Tourisme et Économie.