Vous avez l'impression que la planète est à feu et à sang? Détrompez-vous. Nous vivons au contraire dans une période historiquement très paisible.

«Si vous braquez les projecteurs sur les endroits les plus violents du monde à n'importe quel moment de l'histoire, vous allez évidemment trouver de la violence. Mais ça n'a rien à voir avec les tendances historiques», a expliqué à La Presse l'un des plus grands experts mondiaux de la question, le professeur Steven Pinker, de l'Université Harvard.

Les chiffres sont on ne peut plus clairs. Depuis la fin de la guerre froide, le nombre de conflits dans le monde a chuté de 40%. Et les conflits qui font plus de 1000 morts ont diminué de plus de 50%, selon des statistiques compilées par l'Université d'Uppsala, en Suède.

«En 1973, la guerre du Kippour (entre Israël d'un côté et l'Égypte et la Syrie de l'autre) a fait 12 000 morts. C'est six fois plus que le nombre de décès dans la bande de Gaza cet été. On n'a qu'à replonger dans l'histoire des dernières décennies pour trouver des dizaines d'exemples du genre», illustre Steven Pinker, qui a documenté cette baisse de violence dans un livre intitulé The Better Angels of Our Nature: Why Violence Has Declined.

Andrew Mack, directeur du Human Security Report Project à l'Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, qualifie aussi notre époque «d'extraordinairement pacifique». Il souligne que les guerres entre États sont pratiquement chose du passé. La quasi-totalité des conflits qui se déroulent actuellement sont en effet des guerres civiles ou des conflits impliquant des groupes rebelles ou terroristes, et ils font généralement moins de morts que lorsque deux pays lancent leur armée l'une contre l'autre.

«L'immense carnage engendré par la Seconde Guerre mondiale a fait réaliser aux gouvernements que les guerres ne paient plus comme avant. Aujourd'hui, les pays ont tout à perdre, autant économiquement que politiquement, à provoquer une guerre», dit M. Mack.

Et même si ses interventions connaissent souvent des échecs, la communauté internationale est aussi beaucoup plus active à prévenir et apaiser les conflits armés.

Des inquiétudes réelles

Cette mise en perspective ne signifie toutefois pas que tout va pour le mieux sur la planète.

«Les chiffres ne disent pas tout, et il y a des choses inquiétantes qui se déroulent actuellement», dit Simon Palamar, chercheur au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale (CIGI).

Le chercheur souligne que l'annexion de la Crimée par la Russie et les présumées incursions de Moscou dans l'est de l'Ukraine ont un potentiel d'escalade important.

«Ça faisait plusieurs années qu'on n'avait pas vu deux pays qui s'affrontent de façon aussi directe, avec l'un qui vole des territoires à l'autre», dit-il.

L'État islamique, qui sème la terreur en Syrie et en Irak et menace maintenant l'Occident, représente aussi un nouveau type de menace. Ce groupe est doté d'une armée et compte sur des moyens largement supérieurs à ceux de n'importe quelle autre organisation similaire.

Même si on reste très loin de l'époque de la guerre froide, les statistiques compilées par l'Université d'Uppsala montrent d'ailleurs que le nombre de morts provoqués par les conflits armés connaît une hausse légère, mais constante depuis 2005.

«Pour l'instant, on ne peut pas dire s'il s'agit de variations normales ou d'une nouvelle tendance», dit M. Palamar.

En 2013, la dernière année pour laquelle les statistiques sont complètes, la guerre en Syrie a été de loin la plus meurtrière sur la planète. Les chercheurs suédois ont estimé qu'elle avait provoqué au moins 22 750 morts, près de la moitié des 45 000 morts découlant des conflits armés dans le monde.

Les six autres conflits qui avaient engendré plus de 1000 morts l'an dernier se sont déroulés en Afghanistan, en Irak, au Nigeria, au Soudan du Sud, au Pakistan et en République démocratique du Congo.

«L'une des choses que l'on peut dire sans se tromper est que les conflits liés à l'islam radical sont aujourd'hui les plus meurtriers de la planète», observe Andrew Mack, de l'Université Simon Fraser.

Mais pendant ce temps, des régions comme l'Amérique latine, qui étaient très violentes il y a quelques décennies, se sont largement apaisées.

S'il y a moins de guerres et qu'elles sont moins meurtrières, pourquoi, alors, cette impression que tout va mal?

«Les nouvelles couvrent ce qui se passe, et non ce qui ne se passe pas, répond Steven Pinker. Vous ne verrez jamais un reporter dans les rues de l'Angola, du Sri Lanka ou du Viêtnam dire: «Il n'y a pas eu de guerre ici aujourd'hui.»»