Cela fait 100 ans que les grandes puissances européennes, leurs colonies et leurs dominions sont entrés en guerre, mais le passage du temps n'a eu que peu d'effet pour clore le débat sur ce qui a finalement déclenché le premier véritable «conflit mondial».

Selon le professeur Michael Neiberg, du collège militaire américain de Carlisle, en Pennsylvanie, certains blâment les politiciens au pouvoir à l'époque, et leurs différents systèmes de gouvernement, tandis que d'autres insistent sur le fait qu'il est difficile d'accuser un seul coupable.

«Si quelqu'un cherche des causes simples, ils seront ou bien déçus, ou bien ils réduiront tellement la perspective historique que tout cela n'aura plus de sens; le monde de 1914 était incroyablement complexe», dit-il.

L'Europe était un continent divisé en 1914. La Grande-Bretagne, la France et la Russie formaient la Triple Entente, tandis que l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie formaient plutôt la Triple Alliance («Triplice»). Plusieurs considèrent l'assassinat, le 28 juin 1914, de l'archiduc François Ferdinand comme l'étincelle qui a déclenché le conflit. L'héritier du trône d'Autriche et sa femme ont été abattus à Sarajevo par un nationaliste serbe.

Environ une semaine plus tard, l'Autriche-Hongrie a reçu un engagement de la part de l'Allemagne - un véritable «chèque en blanc» - pour tout appui nécessaire afin de «gérer le problème serbe». Mais le 21 juillet, la Russie, alliée de la Serbie, a mis en garde Vienne contre une intervention contre l'État des Balkans. Malgré tout, deux jours plus tard seulement, l'Autriche-Hongrie présentait un ultimatum de 48 heures à la Serbie.

La réponse de Belgrade est rejetée, et Vienne déclare la guerre le 28 juillet. Le 31, la Russie mobilise ses troupes, et Berlin ouvre les hostilités contre Moscou le lendemain. Dans les journées qui suivirent, la France, la Belgique et la Grande-Bretagne ont toutes été entraînées dans le conflit.

Selon l'historienne britannique Margaret MacMillan, professeure à l'université Oxford qui a écrit le livre The War That Ended Peace: The Road to 1914, affirme que les décisions - prises ou non - au cours de ces quelques jours sont importantes pour comprendre les origines du conflit. «Lorsque vous vous penchez sur l'été de 1914, vous devez examiner les décisions et erreurs humaines qui ont été faites, et je crois que jusqu'à la toute dernière minute, la guerre aurait pu être évitée, et qu'ils auraient très bien pu passer à travers 1914, un autre moment de crise, et ne pas avoir de guerre», a-t-elle indiqué lors d'une récente entrevue.

Dans son livre, Mme MacMillan cherche à savoir pourquoi un siècle de paix relative n'a pas tenu en Europe - il n'y avait pas eu de conflit continental majeur depuis 1815. Elle affirme que les tensions montaient entre les deux blocs politiques, et que certaines nations voulaient agrandir leur territoire aux dépens des autres, particulièrement dans les Balkans. La Russie se développait rapidement, ce qui inquiétait l'Allemagne.

Le nationalisme atteignait des sommets en Europe, en plus d'une «dérive psychologique» en vertu de laquelle les décideurs croyaient que la guerre pouvait être utile, ajoute-t-elle. «Dès qu'il y avait une crise, il y avait des discussions, de façon quelque peu légère, concernant une guerre généralisée. Vous savez, les gens disaient 'lorsque la guerre viendra', plutôt que 'si une guerre éclate', et je crois donc que vous obtenez une sorte d'acceptation psychologique, dans certains cercles, que la guerre pouvait être avantageuse.»

Incompétence au sommet ?

Les systèmes de gouvernements venaient également compliquer la donne. En Grande-Bretagne, le cabinet devait approuver une déclaration de guerre, tandis qu'en Allemagne et en Russie, le Kaiser et le tsar, respectivement, détenait les pleins pouvoirs en matière de politique étrangère et de défense. Le pouvoir était donc concentré entre les mains de gens qui n'étaient pas nécessairement capables de l'exercer, poursuit l'historienne.

De son côté, le professeur William Philpott, du King's College de Londres, affirme que l'absence d'une organisation internationale surveillant les conflits mondiaux a aussi contribué à cette série d'événements. «Il n'y avait pas de modèle sécuritaire collectif - tel que l'on en trouvait au sein de la Société des Nations après la guerre, puis au sein des Nations unies - qui restreignait ou au moins réduisait l'ampleur de ce genre de crises internationales», dit-il.

Ce qui devait donc être une guerre régionale dans les Balkans est donc devenue une guerre européenne, poursuit M. Philpott, avant d'ajouter que la Russie avait été humiliée lors d'une crise en Bosnie en 1908, et qu'une dispute à propos du Maroc, en 1911, avait exacerbé une rivalité croissante entre la France et l'Allemagne.

Mais la guerre aurait malgré tout pu être évitée, n'eut été la position de l'Autriche-Hongrie contre la Serbie, mentionne-t-il. «En quelque sorte, donc, c'est la politique entre l'Autriche et la Russie, avec la Serbie coincée entre les deux, qui est le facteur important, je crois.»

Selon lui, la Russie aurait dû accepter que l'Autriche avait raison, et la Serbie avait tort, à propos de l'assassinat de l'archiduc, et décidé de ne pas soutenir si fermement la Serbie. Mais certaines forces en Russie croyaient que Belgrade avait besoin d'appuis.

Pour le professeur américain Neiberg, l'ultimatum présenté par Munich le 23 juillet constitue «la véritable bombe».

«Voilà pourquoi nous appelons cette période la "Crise de juillet", et non pas la crise de juin. Alors, lorsque tous voient l'ultimatum, ils savent à quel point la situation est grave en Europe.» Et puis, la Russie a mobilisé, dit-il, laissant l'Allemagne croire qu'elle pourrait devoir faire le nécessaire pour se défendre. L'Allemand moyen craignait vraiment que la Russie décide d'envahir. Berlin a donc appelé ses armées pour se défendre contre la Russie, mais sept des huit armées ont envahi la Belgique, la France et le Luxembourg en vertu de plans de guerre développés plusieurs années plus tôt.

«Une fois que la Grande-Bretagne et la France sont impliquées, vous avez toute la force des deux empires. Vous avez tout, de Vancouver au Cap, en passant par Sydney, Auckland, ou encore les Indes. Tout le monde est là.»

Mme MacMillan doute que les historiens soient jamais capables de régler le débat sur la responsabilité du déclenchement du conflit, et cela est sans doute pour le mieux. «Nous ne devrions pas tenter de dire aux enfants qu'il y a une explication simple à la guerre», croit-elle. Je crois que nous devrions leur dire qu'il y a une discussion, et que cela est normal d'avoir des points de vue différents sur ce qui s'est passé. Sur certains sujets, vous n'aurez simplement jamais de consensus.»