Le Canada, qui avait joué un rôle de premier plan dans la lutte contre les mines antipersonnel, se voit reprocher de renier ses engagements dans la campagne en cours pour éradiquer les armes à sous-munitions.

«Autre temps, autre gouvernement», ironise le directeur exécutif de l'organisation Mines Action Canada, Paul Hannon, qui ne voit aucune raison «logique» au comportement d'Ottawa dans ce dossier.

«La situation ternit notre réputation comme chef de file sur les questions humanitaires», note le militant, qui se fait souvent questionner à ce sujet lorsqu'il voyage à l'étranger.

Bien qu'Ottawa ait signé la convention peu après sa conclusion en 2008, à l'instar d'une centaine de pays, le texte n'a toujours pas été formellement ratifié.

Le projet de loi S-10, qui vient d'être renvoyé au Comité permanent des affaires étrangères après avoir été approuvé en seconde lecture aux Communes, vise à compléter le processus.

Le texte comporte des exceptions qui contreviennent, au dire de ses détracteurs, à l'esprit de la convention, axée sur une interdiction «absolue».

Elles concernent particulièrement les militaires canadiens qui participent à des actions communes avec un pays non signataire du traité, comme les États-Unis.

Selon M. Hannon, la convention prévoit déjà que de telles actions sont possibles. Mais les États signataires doivent, même dans ce contexte, éviter de prêter assistance pour l'utilisation d'armes à sous-munitions.

Le texte de loi fédérale précise explicitement que des militaires canadiens peuvent, dans le cadre d'opérations communes, diriger ou participer à des actions prévoyant l'usage de telles armes sans risquer d'être accusés pour leur rôle. Ils peuvent aussi ordonner que ces armes soient utilisées s'ils ne décident pas seuls de la marche à suivre.

Dans un avis transmis en octobre dernier au ministre des Affaires étrangères, John Baird, un groupe d'une trentaine de juristes a prévenu le gouvernement que les exceptions en question allaient trop loin et contrevenaient aux «obligations internationales» du Canada.

Le projet de loi est aussi décrié par Earl Turcotte, qui a dirigé l'équipe du ministère fédéral des Affaires étrangères lors de la négociation de la convention. Il a démissionné quelques années plus tard pour dénoncer la version édulcorée défendue par le gouvernement conservateur.

Le texte «trahit la confiance» des États qui ont «négocié le traité de bonne foi», prévenait M. Turcotte dans une lettre ouverte publiée l'année dernière.

Le ministère des Affaires étrangères maintient pour sa part que le projet de loi permettra au Canada «d'assurer un bon équilibre entre ses obligations humanitaires et ses intérêts nationaux en matière de sécurité et de défense».

«En aucun cas notre gouvernement ne compromettra la capacité des hommes et des femmes des Forces canadiennes à faire leur travail... Le Canada n'aurait pas adhéré à la convention sans cette protection», a indiqué par courriel un porte-parole du ministère, Joseph Lavoie.

M. Hannon espère malgré tout que le Comité permanent des affaires étrangères proposera des amendements pour rectifier le tir. «Je pense que personne ne veut que ces armes puissent continuer à être utilisées», conclut le représentant de Mines Action Canada.

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Les armes à sous-munitions

Ces armes sont généralement composées d'un conteneur métallique qui peut englober plusieurs centaines de petites charges explosives désignées comme sous-munitions. Elles ont été utilisées à plusieurs reprises depuis la Seconde Guerre mondiale, notamment au Viêtnam, en Irak et dans le sud du Liban en 2006 lors de l'offensive israélienne. Il arrive régulièrement que des sous-munitions n'explosent pas en touchant le sol et continuent de constituer une menace pour les populations locales, même après la fin des conflits.

32 Nombre de pays ou de territoires où les armes ont été utilisées.

98% des victimes des armes à sous-munitions sont des civils.

40% des victimes sont des enfants.