On aimerait croire qu'ils sont fous, endoctrinés ou aveuglés par la colère au point d'avoir perdu tout repère. Mais les extrémistes qui tuent, comme ceux qui ont frappé récemment à Londres et à Boston, sont souvent des gens normaux dont il est très difficile de prédire le passage à l'acte. Incursion dans la tête des terroristes.

Le 22 mai dernier, à Londres. Michael Adebolajo s'adresse à une caméra, un hachoir à viande ensanglanté à la main. Il revendique au nom d'Allah le meurtre d'un soldat britannique sauvagement assassiné en pleine rue.

Ce fils d'un immigrant nigérien était pourtant décrit comme un «type normal» et «plutôt jovial» par ses anciens copains d'école. Un «garçon agréable et poli», a dit une ex-petite amie.

Les deux suspects de l'attentat de Boston, Tamerlan et Dzhokar Tsarnaev, étaient aussi décrits comme des étudiants talentueux et des athlètes accomplis.

Alors pourquoi? Pourquoi des gens qui semblent «normaux» en viennent-ils à enlever des vies et à bousiller la leur au nom d'une idéologie? Que se passe-t-il dans la tête des extrémistes qui passent à l'acte?

Ces questions hantent les services de sécurité partout sur le globe depuis des années. Et il est loin d'être simple d'y répondre.

«C'est comme demander aux experts en santé publique de deviner qui va développer le diabète de type II, compare Jonathan Githens-Mazer, expert en radicalisation à l'Université Exeter, au Royaume-Uni. On peut identifier les individus qui ont le profil génétique qui prédispose à la maladie. Mais combien la développeront vraiment? Et qui exactement? C'est très difficile à dire.»

Contrairement à la croyance populaire, en tout cas, ce n'est pas dans les ailes psychiatriques des hôpitaux qu'il faut débusquer les futurs terroristes. Marc Sageman est un psychiatre et ancien agent de la CIA qui a interviewé des dizaines de terroristes, en plus de scruter à la loupe la vie de dizaines d'autres. Ses conclusions sont formelles.

«Ces gens ne sont pas fous, a-t-il dit à La Presse. Les terroristes, en moyenne, sont même étonnamment équilibrés.»

En épluchant la vie de 102 terroristes, le psychiatre déboulonne aussi le mythe de l'individu marqué par la vie, qui entretient une sourde colère depuis l'enfance. Dans la plupart des cas, les terroristes sont issus des classes moyenne ou aisée et sont plus instruits que la moyenne. La majorité d'entre eux ont grandi au sein de familles équilibrées qui ne versaient pas dans l'intégrisme religieux.

Comment expliquer leurs actions?

«Ce sont des jeunes qui sont un peu égarés, qui pensent que c'est cool de faire ça et qui le font, résume l'expert. C'est un peu comme suivre des bands de rock and roll.»

Comme bien d'autres avant eux, les suspects des attentats récents de Londres et de Boston ont dit agir au nom d'Allah. Mais selon M. Sageman, la religion n'est pas la cause profonde de l'extrémisme.

«N'importe quelle idée peut mener à ça, dit-il. Même des idées non violentes, comme le mouvement de défense des droits des Noirs aux États-Unis, a donné naissance à des groupes comme les Black Panthers.»

Michel Juneau-Katsuya, ex-agent du Service canadien de renseignement de sécurité, lui donne raison. Il rappelle que les islamistes radicaux n'ont fait sauter aucune bombe au Canada depuis le 11 septembre 2001. Il répertorie pourtant une trentaine d'actes terroristes perpétrés en sol canadien pendant la même période.

«Anti-américains, anti-G8, écolos radicaux... Au-delà d'Al-Qaïda et du djihad islamiste, l'extrémisme de tout acabit connaît une montée inquiétante au Canada», dit-il.

Les terroristes présentent néanmoins quelques traits communs. Ce sont souvent de jeunes hommes qui, à une époque de leur vie, ont été exposés à une idéologie violente. Marc Sageman, pourtant, refuse de les décrire comme «endoctrinés».

Jonathan Githens-Mazer, de l'Université Exeter, décrit aussi la radicalisation comme un mélange complexe d'influence externe et d'engagement personnel.

«La radicalisation est une obligation de participer à une action directe qui est définie collectivement, mais portée individuellement», énonce-t-il.

Au moment de passer à l'acte, le terroriste est en effet convaincu qu'une injustice doit être vengée et qu'il est de son devoir d'agir personnellement.

Michel Juneau-Katsuya invite à visionner la vidéo montrant Michael Adebolajo, un hachoir à la main, en train de justifier ainsi ses actes.

«Examinez la force de son regard et de son discours, dit-il. Il est en pleine possession de ses moyens. Il est à l'aise avec ce qu'il vient de faire.»

Jonathan Githens-Mazer, de l'Université Exeter, est néanmoins convaincu qu'en décortiquant les actes terroristes, on réussira à détecter les signes avant-coureurs d'une attaque - un genre de «code génétique» indiquant qu'un passage à l'acte est imminent.

En attendant, il faudra se fier à l'instinct des services de sécurité pour intervenir à temps. Avec les succès et les échecs que cela comporte.