Une prophétie vague, une civilisation millénaire, le retour d'un dieu mystérieux, un calendrier complexe... Les ingrédients sont réunis pour faire frémir l'Occidental angoissé qui attend la fin du monde. Et si toute cette frénésie entourant le 23 décembre 2012 nous en apprenait plus sur nous-mêmes que sur les Mayas?

«Mea-culpa.»

Dans un texte publié sur un blogue de spécialistes américains de la culture maya, Stephen Houston a présenté ses excuses. Non, contrairement à ce qu'il avait supposé en 1996, les Mayas n'ont pas prévu la fin du monde. Ils parlent de la fin d'un cycle de leur calendrier, de l'intervention d'un ou de plusieurs dieux, mais pas de la fin du monde. Les Mayas de l'époque classique n'étaient pas amateurs de prophéties les seules références à l'avenir dans leurs écrits concernent des événements faciles à prévoir, comme le cycle lunaire.

Stephen Houston et ses collègues épigraphistes de l'Université du Texas à Austin ne sont pas très férus non plus de futurologie. Ainsi, quand ils ont suggéré en 1996 une interprétation des hiéroglyphes inscrits sur un monument trouvé à Tortuguero au Mexique, ils n'ont pas pensé que leur hypothèse allait donner naissance à une telle frénésie à l'approche de décembre 2012.

Et quand Stephen Houston, à la lumière d'autres travaux faits par la petite communauté d'épigraphistes de la Méso-Amérique de l'époque classique, a rectifié son interprétation de 1996, il était trop tard. Même si ce «mea-culpa» a été fait... en 2008!

Quatre ans plus tard, donc, la fameuse date fatidique approche et les opportunistes se frottent les mains. Hollywood en a fait des films catastrophe, des pseudo philosophes écrivent des bouquins et donnent des conférences. Même l'industrie touristique mexicaine vend le Yucatan comme l'endroit par excellence en cette fin de cycle maya pour «faire le point, réfléchir sur ce qu'on veut changer dans notre vie, sur ce qu'on fait à la planète», dixit sa porte-parole Paula Gomez.

Qu'importe ce qu'en pensent les scientifiques et les Mayas eux-mêmes, excédés par ce carnaval de fin du monde fait sur le dos de leur culture millénaire.

Dans l'ADN occidental

«Dans le nouvel âge, il y a toujours un manuscrit caché, une connaissance secrète quelque part, observe Robert Mager, professeur de théologie à l'Université Laval. Les hiéroglyphes mayas correspondent tout à fait au genre de choses qu'on veut trouver. Ce n'est pas surprenant qu'on les ait utilisés dans ce sens.»

Ce qui chagrine le plus Claudio Obregon Clairin, épigraphiste maya, c'est la méconnaissance ou pire, le désintérêt des promoteurs de cataclysme pour les fondements de la culture maya. «Les Mayas nous ont laissé 10 000 textes. Parmi ces textes, un seul parle du 23 décembre. Et cette prophétie a été écrite par le roi Ah Puh B' Ahlum. Si on se remet dans le contexte guerrier de l'époque, on comprend que ce roi annonce l'arrivée d'une divinité et, par le fait même, son propre retour, puisqu'il est fils de dieu.»

Ce «retour» doit se faire à la fin du cycle du «13e baktun», qui correspondrait au 23 décembre 2012 et non le 21 décembre, date du solstice d'hiver.

Et les Mayas, insiste Claudio Obregon Clairin, avaient une conception cyclique du temps. Un cycle se termine, un autre recommence, et ainsi de suite. «Il n'y a pas de fin pour les Mayas.»

La civilisation occidentale, rappelle Robert Mager, elle, a la «fin des temps» inscrite dans l'ADN. Elle en a même fait une science: l'eschatologie. Du grec «eskatos», dernier, et «-logie», discours: «études des fins dernières de l'homme et du monde.»

«Dans la tradition judéo-chrétienne, il y a depuis toujours l'idée d'une fin de l'Histoire, dit M. Mager. Elle est très marquée par l'idée d'un jugement, où il y aura une espèce de rétablissement des équilibres à travers le jugement final.»

Les juifs de l'Ancien Testament attendaient ce jugement dernier avec espoir. Les chrétiens y lisent le retour du Christ. Mais quand? Les Évangiles fournissent une réponse vague. «Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges des cieux, pas même le Fils, mais le Père seul.» (Matthieu 24: 36).

«Mais cette réponse est insatisfaisante pour bien des gens», dit Robert Mager. Ainsi, certains se tournent vers d'autres courants théologiques. «L'ésotérisme carbure principalement à deux phénomènes: l'angoisse devant le monde présent, et l'espoir d'une forme de salut par la connaissance», explique Robert Mager. Cette connaissance «secrète», qu'il s'agisse de proverbes de Nostradamus ou de prophéties mayas, est une tentative «d'apaiser cette angoisse».

«C'est très populaire en Occident pour des raisons qui sont assez compréhensibles, estime Robert Mager. Il y a eu la guerre froide, la crainte des catastrophes nucléaires et maintenant écologiques... L'avenir apparaît inquiétant.»

«C'est comme si, dans notre culture occidentale, la mort individuelle et collective devenait quelque chose de moins en moins familier et de plus en plus fantasmé. On a de la misère avec la mort. On est hantés par les conséquences de tout ce qu'on est capables de faire maintenant. Ça provoque des angoisses qui se déploient dans l'imaginaire...»

Et qui, finalement, ont peu à voir avec la culture maya.

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Un bédéreportage (ci-dessous)

Le reportage en bande dessinée ou «bédéreportage» est une forme de journalisme surtout pratiquée en Europe et aux États-Unis, mais encore méconnue au Québec. Plusieurs reporters ajoutent ainsi un carnet de croquis à leur carnet de notes comme l'Américain Joe Sacco, le Suisse Patrick Chappatte, ou, d'une certaine façon, le bédéiste québécois Guy Delisle, même s'il ne se considère pas comme un journaliste. Notre journaliste Judith Lachapelle a saisi ses crayons pour explorer le genre et raconter son séjour en pays maya.