On ne l'entend pas souvent, mais le concept d'Occupy Wall Street est né... à Vancouver. Fasciné par les grands rassemblements du Caire, Kalle Lasn, éditeur du magazine canadien Adbusters, a pensé que l'Amérique du Nord était mûre pour un «moment Tahrir».

«Nous savons que Moubarak était un dictateur et qu'il torturait les gens, dit-il quand je le joins au téléphone. Mais au Canada et aux États-Unis, nous avons des gouvernements à la solde des grandes sociétés privées, qui font changer nos lois et déterminent ce que nous mangeons et ce que nous voyons à la télé.»

L'équipe d'Adbusters a lancé son premier caillou dans le cyberespace dès le mois de février. Aucune réponse. Puis, il y a eu la révolte de Madrid. Adbusters a envoyé une nouvelle invitation à ses 90 000 abonnés sur l'internet: le 17 septembre, occupons Wall Street. Cette fois, la vague a levé.

Une dizaine de vétérans de la Puerta del Sol sont venus prêter main-forte à Occupy Wall Street (OWS). Parmi eux, Nikki Schiller, responsable du comité international des manifestants espagnols, qui n'en revient pas de voir comment le mouvement s'est répandu. «C'est une révolution mondiale!»

À New York, le premier noyau de manifestants regroupe beaucoup de profs et d'étudiants qui ont fait leurs classes en protestant contre les coupes municipales. Une cinquantaine de personnes se partagent l'organisation du mouvement, qui se dit collectif et refuse de se doter d'un programme.

Les détracteurs reprochent à OWS l'absence de demandes précises (contrairement aux manifestants égyptiens, qui avaient, eux, une longue liste d'épicerie à présenter aux autorités).

«Mais c'est très clair, ce qu'on veut, rétorque le vendeur d'antiquités Thorin Darsto, qui passe ses nuits au square depuis le 17 septembre. Nous voulons que les sociétés cessent d'acheter les politiciens, nous voulons de la transparence, nous voulons savoir d'où vient l'argent et où il va.»

D'abord ignorée des médias, la contestation a pris une ampleur qui a surpris ses organisateurs. Les appuis se multiplient. Des syndicats et des personnalités connues sont montés dans le train. Dans un discours à la place Zuccotti, l'essayiste Naomi Klein a dit qu'OWS est le phénomène le plus important qui se passe actuellement dans le monde.

De façon plus surprenante, Lech Walesa, héros de la lutte contre le communisme en Pologne, a lui aussi appuyé les manifestants.

Qui dit appui dit argent: selon Justin Wedes, OWS a réussi à amasser 150 000$. Que des dons individuels, il va de soi.

Les analyses se multiplient: quelle mouche a donc piqué la planète pour que des gens sortent dans la rue sur tous les continents? Nous assistons à une révolte globale contre les élites, affirme le journaliste Peter Apps. Le monde est au bord d'une «grande fracture», à moins que ce ne soit un «grand virage» plein de risques et d'occasions, prophétise le journaliste Thomas Friedman.

Aux États-Unis, la droite américaine tombe à bras raccourcis sur les manifestants. «Mais les banques n'ont pas obligé ces enfants à emprunter pour payer leurs études», ironise le blogueur Robert Stacy McCain. «Ils divisent la société au pire moment», dit le républicain Mitt Romney.

Dans un article inspiré, le journaliste Chris Hedges leur répond en disant que les protestataires constituent la fleur de la société américaine. «Ils sont l'incarnation de l'espoir.»