John Paul Macdonald en connaît un chapitre sur la gestion de crise. L'ancien militaire était le porte-parole de l'armée canadienne pendant la crise d'Oka. Il croyait peut-être que sa vie serait plus tranquille en quittant l'uniforme pour se joindre à Bombardier. Mais en 2005, il a été plongé au coeur de la pire crise de relations publiques du géant québécois du transport et de l'aéronautique.

Bombardier avait été cloué au pilori après avoir promis de livrer au gouvernement chinois les wagons d'un chemin de fer liant le Tibet au reste de la Chine. Partout dans le monde, des manifestants exhortaient l'entreprise à se retirer du projet, destiné selon eux à accélérer la «colonisation» du Tibet par les Chinois Hans. Le dalaï-lama lui-même avait prévenu que ce lien ferroviaire provoquerait un «génocide culturel».

Pour les ingénieurs de Bombardier, le défi technique était énorme. À 5000 mètres d'altitude, l'oxygène étant rare, ils devaient confectionner des wagons pressurisés comme des avions. M. Macdonald, de son côté, faisait face à un défi tout aussi colossal. Difficile de trouver plus désastreux, pour l'image d'une entreprise, que de compter le dalaï-lama parmi ses opposants...

Bombardier n'a pourtant jamais songé à se retirer du projet. Pas question de mettre en péril ses nombreux autres contrats en Chine. «Le développement du pays bénéficie de notre participation. On croit fermement qu'on peut accomplir beaucoup plus en étant présent qu'en étant absent», affirme M. Macdonald.

Le chemin de fer a été inauguré en 2006. L'année suivante, M. Macdonald s'est rendu à Lhassa, capitale tibétaine. «J'ai moi-même remarqué que, dans les hôtels et les restaurants, les gestionnaires étaient surtout des Chinois Hans. Nous avons eu l'idée de créer un programme pour aider les jeunes Tibétains des régions rurales à suivre une formation en gestion du tourisme», un secteur en plein essor depuis que le train roule jusqu'à Lhassa.

Bombardier a investi un million dans le programme. Après trois ans à l'université, 20 étudiants tibétains ont obtenu leur diplôme en 2010. Ils ont tous trouvé un emploi. Et les relations de Bombardier avec les groupes d'exilés tibétains se sont réchauffées. «Nous travaillons en collaboration. Ils nous ont même dirigés vers certaines entreprises minières canadiennes présentes au Tibet.»

Le directeur général du comité Canada-Tibet, Dermod Travis, respecte les efforts de M. Macdonald. Mais il reste que, selon lui, la Chine a obtenu exactement ce qu'elle voulait avec ce chemin de fer. «Dans certaines villes du Tibet, il y a maintenant des majorités de Chinois Hans. Le bazar de Lhassa n'est plus tibétain. Il est chinois, parce que la grande majorité des vendeurs sont chinois.»

Ce flot d'immigrants chinois a d'ailleurs contribué aux violentes manifestations de Tibétains en colère, en mars 2008.

«Je ne crois pas que Bombardier puisse avoir bonne conscience, parce que le chemin de fer a totalement changé le Tibet, dit M. Travis. C'est vrai, Bombardier s'efforce maintenant d'améliorer la situation. Mais si j'étais Laurent Beaudoin, j'aurais de la difficulté à dormir la nuit. Parce qu'un tel changement démographique constitue une grande menace pour l'avenir du peuple tibétain.»