Il y a trois jours à peine, les insurgés de l'est de la Libye célébraient avec exubérance la chute imminente de Syrte, ville natale de Mouammar Kadhafi.

Le moral était beaucoup plus bas hier, alors que les forces loyales au dictateur poursuivaient leur progression vers l'est, s'emparant de la ville de Brega pour foncer vers Ajdabiya - repris par les rebelles il y a moins d'une semaine.

Ahmad Omar Bani, porte-parole militaire des opposants, avait le visage long, hier, lorsqu'il a annoncé ces mauvaises nouvelles. Il a accusé Kadhafi d'avoir fait appel à des gardes républicains venus du Tchad. Selon lui, il s'agit d'une armée de 3600 hommes dotée de chars d'assaut et d'artillerie lourde. Ces allégations n'ont toutefois pas été confirmées.

«Peu importe l'enthousiasme de nos combattants, nos armes n'ont aucune chance devant une force aussi puissante, a-t-il admis. Où était donc l'OTAN pour permettre à ces mercenaires d'entrer en Libye?»

Pour rééquilibrer les forces, les opposants libyens réclament qu'on leur fournisse des armes. Lesquelles? «Ce qu'il faut pour détruire leurs armes», dit le colonel Bani.

L'ennui, c'est que ceux qui donnent les armes auront la responsabilité de s'assurer qu'elles seront bien utilisées, avertit Donatella Rovere, qui suit la crise libyenne pour Amnistie internationale.

Or, depuis que les opposants libyens se sont servis dans les katiba - les casernes militaires qu'il y a dans chaque ville du pays-, ils ont fait une «utilisation irresponsable des armes, au point de mettre en danger la vie des civils», constate Donatella Rovere.

À Benghazi, on entend fréquemment tirer en l'air. La représentante d'Amnistie internationale a vu des gens blessés par ces tirs. «Quiconque donne des armes doit s'assurer que des mécanismes permettent de contrôler leur bonne utilisation», prévient-elle. Cela ne va pas de soi dans un pays où de nombreux hommes armés, qui n'ont reçu aucune formation militaire, ne répondent à aucun véritable commandement. Et ont besoin de quelques leçons avant d'être placés aux commandes d'un blindé.

Ligne de front

La ligne de front s'est de nouveau déplacée vers l'est, hier, pour atteindre Brega, ville côtière où se trouve une importante société pétrolière, Sirt Oil. Lorsque nous l'avons visité, dimanche, Brega, tout juste reconquis, était complètement déserté par ses habitants. Une poignée d'hommes armés surveillaient l'hôpital, où un seul médecin et deux infirmières assuraient la garde.

Hier, Brega était de nouveau déchiré par les combats. Les insurgés ont dû retraiter, le temps de trouver une nouvelle stratégie, selon le colonel Bani.

Et les habitants de la dernière grande ville avant Benghazi, Ajdabiya, qui étaient rentrés chez eux après avoir fui pendant 10 jours, ont recommencé à faire leurs valises.

La suspension des frappes aériennes internationales, mardi, a surpris les opposants libyens. «Je suis étonné qu'il n'y ait pas eu de bombardement. Peut-être attendaient-ils que les troupes de Kadhafi menacent directement des populations civiles?» s'interroge Shamsiddin Abdulmollah, un des porte-parole du Conseil national de transition.

Mais dans l'est de la Libye, les insurgés ne demandent pas que des armes. Ils voudraient aussi que les comptes de la société pétrolière de Benghazi, Agoco, frappée par les sanctions internationales, soient dégelés, pour leur assurer des revenus. En attendant, le Qatar s'est engagé à reprendre les exportations de brut libyen pour le compte des dirigeants de l'opposition. Ce à quoi le régime Kadhafi a répliqué en menaçant de poursuites tout pays qui ferait affaire avec les rebelles.

Six semaines après les premières manifestations contre Mouammar Kadhafi, la Libye vient de recevoir un premier avion d'aide humanitaire. «Nous avons besoin de nourriture, d'équipement de communication, de téléphones», énumère Shamsiddin Abdulmollah.

«Nous n'avons pas besoin d'intervention étrangère, le peuple libyen peut le faire», clamait une affiche à Benghazi dans les premiers jours du soulèvement populaire. Cette affirmation paraît un peu moins vraie chaque jour.