«De vraies informations»: c'est ainsi qu'Hillary Clinton a défendu, la semaine dernière, Al-Jazira. Signe de la popularité renouvelée au fil du printemps arabe de la chaîne d'information qatarie, ce plaidoyer n'en a pas moins constitué une surprise aux États-Unis, où Al-Jazira en anglais n'est toujours pas offerte. Conquérir les États-Unis: voilà le défi qu'espère relever Tony Burman, directeur général d'Al-Jazira en anglais. Ce Montréalais d'origine est une figure bien connue de la CBC, mais depuis 2008, il a rejoint les troupes d'Al-Jazira, d'abord à Doha, puis à Washington.

Q. Avez-vous été surpris par le plaidoyer fait par Hillary Clinton devant le Sénat?

R. Nous sommes ravis. On sait qu'il y a un sentiment très positif grandissant au département d'État envers Al-Jazira, ce n'est donc pas une surprise, mais nous avons apprécié qu'elle le fasse de cette façon.

Q. Depuis le renversement d'Hosni Moubarak, en Égypte, Al-Jazira mène une campagne de lobbyisme, notamment dans les médias sociaux, pour que les téléspectateurs américains la réclament («DemandAlJazeera», ndlr). Où en êtes-vous?

R. Plus de 50 000 Américains ont écrit à leur fournisseur de câble. C'est absurde qu'une chaîne de ce calibre, vue dans 200 millions de foyers, ne soit pas offerte dans le plus grand marché du monde. J'étais aussi de cet avis pour le Canada (où Al-Jazira est offerte depuis un an par certains câblos-distributeurs, ndlr). Aux États-Unis, la chaîne est accessible dans certains États. C'est le cas à Washington DC, une ville remplie de drogués de l'information, qui veulent vraiment comprendre ce qu'il se passe. C'est ce que reflète le commentaire d'Hillary Clinton.

Q. Al-Jazira fait parler d'elle depuis sa création en 1996, mais les récents événements du Moyen-Orient ont vraiment mis la chaîne en évidence. Est-ce qu'Al-Jazira vit son heure de gloire ?

R. Tout à fait. C'est un moment-clé dans le monde arabe. Les gens ici en ont conscience et ils veulent comprendre ce qui se passe là-bas. Malheureusement, de nombreuses chaînes américaines ont dû fermer leurs bureaux à l'étranger, faute d'argent. Alors oui, Al-Jazeera vit son heure de gloire, tout comme CNN a eu le sien pendant la guerre du Golfe en 1991.

Q. Quand la révolution a démarré en décembre en Tunisie, certaines rédactions occidentales n'ont pas immédiatement saisi l'importance de ces événements. Sauf Al-Jazira...

R. Je suis entièrement d'accord. Cela montre que sans journalistes et producteurs sur place, on ne peut pas vraiment réaliser ce qui se passe. Al-Jazira a toujours été très présente en Tunisie et en Égypte. Avec Al-Jazeera en anglais et en arabe, on a plus de 70 bureaux, ce qui est plus que la BBC et CNN.

Q. Quelles sont les forces d'Al-Jazira selon vous, par rapport à ses concurrentes britanniques et américaines, mais aussi arabes (Al-Arabiya)?

R. Al-Arabiya et d'autres chaînes ont des reporters dans les pays arabes. Mais Al-Jazira a toujours représenté les gens, pas les hommes politiques. C'est une chaîne vraiment crédible dans le monde arabe. Les autres chaînes ont peut-être des ressources, mais pas cette crédibilité.

Q. Selon vous, quelle influence a eu Al-Jazira sur les sociétés civiles arabes?

R. Les gens prennent de plus en plus conscience de ce qui arrive chez eux. C'est sans précédent: beaucoup de ces sociétés ont été très contrôlées jusqu'à récemment. En voyant le soulèvement en Tunisie, beaucoup de gens se sont rappelés qu'eux aussi pouvaient marcher vers la démocratie. Nous n'avons pas provoqué la révolution, mais le fait de montrer le soulèvement a été très significatif. Clairement, nous soutenons la démocratie, les droits de l'homme, mais nous sommes professionnels. Al-Jazira a été créée par des anciens de la BBC. On a montré ce qui se passait. En soi, c'est ce qui est révolutionnaire.

Q. Quelles sont les ambitions d'Al-Jazira?

R. Nous espérons construire des ponts entre les peuples, apaiser les tensions culturelles. C'est important qu'aux États-Unis, on puisse regarder une chaîne internationale qui couvre le monde. L'actualité dans le monde arabe va encourager les gens à corriger leurs préjugés.