Un ancien résistant français de 93 ans, Stéphane Hessel, obtient un succès monstre en France avec la publication d'un petit livre où il appelle la population à s'indigner contre l'injustice.

L'ouvrage d'une trentaine de pages, intitulé Indignez-vous!, est proposé pour la modeste somme de 3 en librairie. Il avait été tiré initialement à 8000 exemplaires, mais les ventes ne cessent d'augmenter depuis sa sortie, en octobre, souligne l'éditrice Sylvie Crossman.

«Nous en sommes à près de 900 000 exemplaires vendus... La demande a explosé pendant la période de Noël», a expliqué hier cette ancienne journaliste du Monde, cofondatrice d'Indigène Éditions.

En entrevue, M. Hessel reconnaît d'emblée qu'il ne s'attendait pas à vendre plus de quelques milliers d'exemplaires: «Il semble que les gens aient été frappés par l'exposition brève et rapide d'un certain nombre de valeurs, celles mises de l'avant il y a 65 ans par le Conseil national de la résistance française. Des valeurs qui ne sont pas suffisamment défendues aujourd'hui», a-t-il dit hier à La Presse.

Il existe, poursuit l'auteur, une «inquiétude latente» chez nombre de personnes qui se préoccupent de l'évolution de la situation politique et économique et «ne voient pas très bien comment sortir de là».

«Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers: pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l'égard des immigrés, pas cette société où l'on remet en cause les retraites, les acquis de la sécurité sociale, pas cette société où les médias sont entre les mains des nantis», écrit l'auteur, qui appelle tout particulièrement les jeunes à «trouver les thèmes» qui justifient leur indignation.

Mme Crossman, qui a incité Stéphane Hessel à écrire son livre après l'avoir entendu parler de la Résistance au cours d'une activité commémorative, pense que le vécu de l'auteur contribue largement à la popularité de l'ouvrage: «Il y a un peu partout dans le monde une montée de l'engagement, qui se trouve soutenu dans un livre écrit par un homme qui a vécu toute sa vie dans cette pratique-là, un homme qui est au-delà de tout soupçon politique, religieux, financier. Ça inspire vraiment le respect.»

La teneur positive du message détonne dans une société française marquée par le pessimisme. «Il parle de l'engagement comme d'une joie dans une France qui s'est enfermée dans une certaine morbidité», note l'éditrice, qui prépare des traductions pour plusieurs pays.

Bien que l'accueil médiatique ait été initialement très favorable, certains critiques ont élevé la voix au cours des dernières semaines. L'écrivain et journaliste Pierre Assouline a notamment décrit Indignez-vous! comme un texte «plein de bons sentiments», miné par une plume «incertaine», qui n'a pas la puissance d'un véritable pamphlet.

«Je m'indigne qu'on nous demande de nous indigner parce que l'indignation est le premier temps de l'engagement aveugle», a souligné de son côté le psychiatre Boris Cyrulnik.

Mais ces réactions n'émeuvent pas outre mesure M. Hessel, qui reconnaît d'emblée les limites de l'exercice auquel il s'est livré: «Ceux qui me reprochent de ne pas apporter de réponses ont tout à fait raison, je n'en apporte pas. Je plaide pour que les gens s'indignent et trouvent leurs propres réponses.»

L'ancien résistant, très engagé dans la défense de la cause palestinienne, est plus sensible aux critiques de groupes comme le Conseil représentatif des institutions juives (CRIF), qui l'accuse de propager des «impostures, approximations et fixations haineuses contre Israël».

L'organisation s'est notamment félicitée il y a quelques jours de l'annulation d'une conférence prévue à l'École normale supérieure, où M. Hessel a étudié dans sa jeunesse. Il devait témoigner de son dernier voyage à Gaza, mais l'établissement a annulé la réservation de la salle pour des raisons de sécurité.

L'auteur juge qu'il s'agit d'une atteinte à la liberté d'expression que rien ne justifiait dans les circonstances. L'affaire, ajoute-t-il, a eu dans les médias français un écho exagéré qui tient en partie à la popularité de son livre. «Je suis devenu brusquement plus visible que jamais auparavant. Les gens qui ne m'aiment pas ont donc tout intérêt à m'attaquer», conclut M. Hessel.

Parcours de résistant

Stéphane Hessel est né en 1917 à Berlin. Il a émigré à Paris en 1924 avec ses parents, très près du milieu artistique. Naturalisé et mobilisé, il a rejoint le général Charles de Gaulle à Londres en 1941. Débarqué clandestinement en France en 1944, il s'est engagé dans la résistance avant d'être pris et déporté à Buchenwald. Après la guerre, il est entré au ministère des Affaires étrangères et a été nommé aux Nations unies, où il a fait partie de la commission chargée de rédiger la Déclaration universelle des droits de l'homme. Il a fait carrière dans le milieu diplomatique jusqu'en 1985.