Le nom de son association est provocateur et ses prises de position sont autant de coups d'éclat dans le délicat débat sur les accommodements raisonnables. Mais pour Sihem Habchi, présidente de l'association française Ni putes ni soumises, il est grand temps que le discours féministe atteigne les communautés culturelles les plus fermées.

Les féministes soixante-huitardes ont revendiqué le droit de porter le pantalon. Celles de 2010 ont milité en novembre dernier pour avoir le droit de porter... la jupe.

La jupe? Oui. Et le short aussi dans les écoles. Bref, le droit de porter ce qu'elles veulent, d'être ce qu'elles sont, sans devoir dissimuler leurs courbes dans un pantalon de jogging ou sous un voile islamique.

C'est l'une des dernières actions d'éclat menées par le mouvement féministe français Ni putes ni soumises, dont la présidente, Sihem Habchi, est de passage au Québec cette semaine.

«Le 25 novembre (Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes), on ne voulait pas compter encore une fois le nombre de mortes, raconte Mme Habchi en entrevue. C'est glauque, ça mobilise peu et ça conforte l'idée qu'on est femmes et victimes. Il fallait un acte simple et positif pour dire qu'on est femmes et qu'on n'a pas à s'en cacher.»

Une jupe, oui. Mais un voile intégral, comme le niqab ou la burqa, pas question. Même pour celles qui disent le porter par choix. «Il y a des femmes battues qui disent que c'est leur choix d'être frappées par leur mari. Il y a des femmes qui subissent de la pression, qui ont peur. Oui, des femmes choisissent de se soumettre à l'oppression. Mais ce n'est pas une raison pour l'accepter.»

L'image est... radicale. «C'est vrai, concède Sihem Habchi. Mais on tergiverse tellement sur le sujet! Pourquoi alors aller en Afghanistan? Il faut être cohérent.»

Bombe à retardement

Ni putes ni soumises, fondé en 2003, s'intéresse de près à la situation des femmes dans les banlieues françaises peuplées d'immigrés. Sa présidente, Sihem Habchi, Algérienne d'origine, est arrivée en France à l'âge de 3 ans. Elle en a maintenant 35.

L'association a salué l'interdiction du port du voile intégral dans les espaces publics l'an dernier en France. «Ce ne sont pas tant les femmes qu'on accommode que la vision traditionaliste», martèle Mme Habchi.

«C'est une bombe à retardement que vous allez avoir», dit-elle, pour dénoncer des accommodements qui permettraient au voile intégral de s'enraciner au Canada.

«Qu'est-ce que vous allez faire de ces enfants qui grandissent avec des femmes qui portent la burqa, sans rien qui le remette en question?» demande-t-elle. «Il y a cinq ans, en France, il n'y avait pas de burqa. Qu'on ne vienne pas m'expliquer que c'était dans les gènes culturels musulmans... La prochaine fois, ça sera quoi? La ceinture de chasteté?»

Le relativisme culturel des pays d'accueil a engendré une génération coincée entre les valeurs traditionalistes et modernes, source des actes terroristes commis par des immigrés de seconde génération, selon Mme Habchi. «Il va falloir inclure tous ceux qui croient qu'ils sont laissés pour compte. Casser les ghettos.»

Le défi, dit-elle, est aussi de convaincre cette jeune génération que l'émancipation est bonne pour eux, hommes ou femmes.

D'ailleurs, précise Mme Habchi, Ni putes ni soumises inclut les hommes dans son combat. «On s'est battues pour la mixité», dit-elle. Un membre de l'association sur cinq est désormais un homme. «C'est très important. On ne peut pas concevoir ce combat sans les hommes.»

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Précision

Dans la version originale de ce texte, il était écrit que «Les féministes soixante-huitardes ont brûlé leur soutien-gorge et revendiqué le droit de porter le pantalon». Cependant, l'image du soutien-gorge brûlé relève davantage du mythe que des faits. Lors d'une manifestation féministe en 1968, à Atlantic City, les militantes ont effectivement mis des soutien-gorge (avec des souliers à talons hauts et des magazines Playboy) dans une grande poubelle, les qualifiant «d'instruments de torture». Mais elles n'y ont jamais mis le feu, contrairement à l'idée largement véhiculée dans les médias notamment pour dénigrer le combat féministe de l'époque. (source: Getting it Wrong, Ten of the Greatest Misreported Stories in American Journalism, par W. Joseph Campbell, University of California Press)