Deux ans après les émeutes de la faim, le prix des denrées explose à nouveau. La situation est aujourd'hui moins grave, mais les experts se demandent comment éviter cette menace.

«Contrairement à 2008, il y a des baisses importantes de production, notamment en Russie et en Asie, à cause de phénomènes climatiques», explique Abdolreza Abbassian, économiste de la FAO chargé du suivi du secteur des céréales, qui fait état de hausses importantes des prix dans un rapport publié cette semaine. «La situation est plus claire et elle est aussi moins grave parce qu'elle frappe des clientèles moins pauvres. Le prix des céréales est en hausse, mais c'est moins abrupt qu'en 2008. La crise touche surtout la viande, l'huile et le sucre, des denrées moins essentielles pour l'Afrique, par exemple.»

La crise actuelle a aussi permis de relativiser l'impact des contrats à terme sur les denrées. «On a parlé de spéculation, mais je crois que c'est simplement un exemple de la capacité des marchés financiers de trouver de l'information que négligent les organismes publics, dit M. Abbassian. Plus d'information va rendre les marchés alimentaires plus efficaces. J'avais un doute en 2008, mais je n'en ai plus.»

Shenggen Fan, coauteur d'un récent rapport de l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires à Washington, confirme que ce ne sont pas les marchés financiers qui causent la hausse des prix des denrées. «Ce qu'il faut viser, c'est la spéculation sur place, par des négociants qui stockent les denrées elles-mêmes, dit M. Fan. Il faut aussi viser les barrières à l'exportation, qui exacerbent localement la crise.» Selon M. Fan, la flambée actuelle est aussi liée à l'urbanisation en Chine et en Inde, qui dépeuple les campagnes et augmente le coût de la main-d'oeuvre agricole.

Pour éviter les crises futures, il faut augmenter l'aide aux agriculteurs africains, selon Roger Thurow, du Chicago Council on Global Affairs, qui a publié le livre Why the World's Poorest Starve in an Age of Plenty. «L'Afrique va voir une forte augmentation de sa population et elle abrite les dernières réserves de terres agricoles, dit M. Thurow. Le potentiel de croissance est important parce que la révolution verte a ignoré l'Afrique. Seulement 4% des terres sont irriguées, et seulement 20% des semences sont des hybrides améliorés. Les pertes à cause de l'entreposage sont parfois de 30% à 50%. En 2003, la famine en Éthiopie était liée à des problèmes de transport et d'entreposage qui ont paradoxalement fait chuter les prix, acculé les agriculteurs à la faillite et mis les champs en jachère.»

Quel impact aura la tendance des investisseurs à acheter des terres agricoles en Afrique pour nourrir leur population? «Ça pourrait être dévastateur si ça devient une nouvelle forme de colonialisme, dit M. Thurow. S'il n'y a pas de transfert de technologie aux agriculteurs locaux, si des systèmes de transport totalement séparés sont mis en place, si les denrées sont exclusivement vouées à l'exportation et si des travailleurs étrangers sont utilisés, il n'y aura aucun avantage pour l'Afrique. Ce n'est pas impossible: la Chine, par exemple, emploie souvent ses propres travailleurs pour des travaux d'infrastructures en Afrique.»

Un milliard de personnes n'ont pas assez à manger.

Achats internationaux de terres agricoles

2000 : 5 millions d'hectares

2009 : 45 millions d'hectares

120 millions d'hectares : superficie nécessaire pour soutenir la croissance de la demande agricole d'ici 2030.

80% des réserves mondiales de terres agricoles se trouvent en Afrique et en Amérique latine. En Asie, 95% des terres agricoles sont déjà utilisées.

2-3 % La nourriture devrait coûter entre 2% et 3% plus cher en 2011 en Amérique du Nord. En 2008, l'augmentation était de 5,5%.

6 % D'ici 2080, le potentiel mondial de production agricole devrait chuter de 6% à cause des changements climatiques, une baisse qui dépassera 15% en Afrique.

Le réchauffement de la planète

Plusieurs anomalies climatiques potentiellement associées au réchauffement de la planète sont responsable de la chute de 2% de la production mondiale de céréales en 2010 : la sécheresse et les incendies estivaux en Russie, les inondations au Pakistan et les pluies anormales et imprévisibles au Laos et au Cambodge.

SOURCES : Council on Foreign Relations, Foreign Policy, Conseil des droits de l'homme de l'ONU, FAO, Financial Times, New York Times, IFPRI, Globe and Mail