Réhabiliter les enfants soldats, c'est bien. Mais ce n'est pas assez, dit Roméo Dallaire. Dans son nouveau livre, l'ancien général plaide pour que l'on complique le recours à ces armes de guerre particulièrement redoutables que sont les enfants. Nous l'avons rencontré à Montréal.

Il obéit aux ordres. Il ne coûte pas cher à entretenir. Il est facile à trouver et facilement remplaçable. Bref, il est rentable. «L'enfant soldat est le système d'armes le plus complet de tout l'arsenal des machines de guerre», écrit l'ancien général Roméo Dallaire.

«Mon livre risque de choquer certaines ONG, dit spontanément le militaire de carrière. Je parle des enfants soldats comme d'un système de guerre. Les ONG qui démobilisent et réhabilitent les enfants soldats se concentrent sur le fait que ce sont des enfants, pas sur le fait qu'ils ont été transformés en soldats.»

D'où la question: comment rendre inutile et peu attrayant le recours aux enfants soldats? Par des lois, des conventions, mais aussi en entraînant policiers et militaires à empêcher le recrutement. «Si je peux rendre le recours aux enfants soldats plus problématique qu'utile, ils ne seront pas recrutés par des adultes. C'est ce point de vue militaire qui est nouveau.»

«On prend les moyens pour éviter une guerre nucléaire, dit-il. Mais pour les guerres qui utilisent les enfants comme arme principale, on ne fait rien.»

Mal préparés

Roméo Dallaire a côtoyé les enfants soldats au Rwanda. Il décrit dans son livre sa stupeur face à un chef de groupe de rebelles qui n'a pas 16 ans. Des enfants lourdement armés, de machettes ou de mitrailleuses AK-47, rendus insensibles et fous par l'horreur, le haschisch et la cocaïne. Des soldats qui ne répondent à aucune logique militaire. «L'un d'eux a déjà pointé sa AK-47 sur moi. J'ai été sauvé parce que je tenais une tablette de chocolat.»

Et les soldats de l'ONU envoyés aujourd'hui apaiser les tensions au bout du monde ne sont pas mieux préparés qu'avant. «La seule chose qu'on a trouvée chez les Américains disait: tentez d'éviter la confrontation avec les enfants soldats.»

Les efforts sont présentement concentrés sur la démobilisation et la réhabilitation des enfants soldats. Avec son groupe Initiatives Enfants Soldats, M. Dallaire souhaite trouver des façons d'agir en amont pour prévenir leur recrutement.

Et c'est un appel qu'il lance au lecteur qui, après des pages de récits d'horreur, «devrait être assez enragé pour chercher une soupape». Il cible particulièrement les jeunes «pour qu'ils soient aussi nombreux que leurs pairs qui sont enlevés, utilisés, abusés et tués comme enfants soldats».

Les mots utilisés pour raconter la réalité des enfants soldats sont durs, les scènes qui sont décrites sont épouvantables. L'écriture a-t-elle été une thérapie? «Non. Écrire un livre ne m'aide pas. Je retourne en enfer en les rédigeant. On ne les écrit pas pour se soulager, mais pour informer et espérer que ça servira à quelqu'un.»

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Canadiens passifs

Le Canada distribue 18 millions de dollars à l'étranger pour aider à la réhabilitation des enfants soldats, selon des chiffres dévoilés hier par Le Devoir. Mais que fait le Canada avec son seul enfant soldat, Omar Khadr, qui était âgé de 15 ans lorsqu'il a tué un soldat américain? «Est-ce qu'il se peut que les enfants des autres soient moins humains que les nôtres?» demande l'ex-général. «Parce qu'il a fait partie d'un groupe terroriste, parce qu'on a des soldats canadiens en Afghanistan, parce qu'on n'aime pas la famille Khadr qui est pro-taliban, le jeune est donc coupable.» Les Canadiens sont «amorphes» quand il s'agit de défendre Khadr, ce qui a bien servi le gouvernement conservateur, déplore M. Dallaire.

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Ils se battent comme des soldats, ils meurent comme des enfants, de Roméo Dallaire. Éditions Libre Expression