Le salon de beauté Great Shapes, au centre de Crawford, n'est pas un endroit snob.

Le plafond est suspendu, les plantes sont en plastique, et les sujets de conversation tournent autour du prix du lait et de l'épaisseur de la fourrure des moutons en octobre.

Récemment, un journaliste québécois s'est arrêté pour parler politique, et poser des questions sur George W. Bush, propriétaire d'un ranch à quelques milles de là.

Instantanément, les regards sont montés au ciel.

«Les gens ici sont bien contents que George W. Bush ne soit plus président», a dit Mindy Suman, une cliente qui se faisait faire une teinture auburn. Crawford a reçu trop d'attention à cause de ça. C'était devenu de la folie.»

Tony Blair est venu manger au restaurant du coin, s'est-elle souvenue, tout comme Vicente Fox, le roi d'Arabie Saoudite, Vladimir Poutine...»C'est impressionnant, mais ça fait un temps. Ça fait beaucoup de problèmes de circulation.»

Bush, un bon président

La coiffeuse de Mme Suman, LouAnn Smith, a voté deux fois pour Bush. Elle trempe son pinceau dans la gelée blanche et applique le produit sur la racine des cheveux de sa cliente.

«George W. Bush était un bon président, dit-elle. Il a eu une présidence difficile, mais je crois que c'est un homme sur lequel on peut se fier.»

«Et Obama?»

Tout le monde lève les yeux au ciel.

Pas de changement

Crawford est minuscule. Clignez des yeux en roulant sur la route 317 et vous traversez le village sans rien voir. Il y a quelques années, les cartes routières n'en faisaient pas mention.

Le village compte deux stations-service, un restaurant, une salle des Chevaliers de Colomb. Le salon de barbier a fermé l'an dernier quand le barbier est mort. Les coupes de cheveux coûtaient 5$.

«C'est un endroit tranquille ici, lance John Owens, un fermier, en faisant le plein de son pick-up à la station-service. Les gens ne verrouillent pas les portes de leur maison ou de leur auto. Tout le monde connaît tout le monde. Les gens sont traditionnels. Ils n'aiment pas trop le changement.»

Le changement, c'est bien sûr la plateforme sur laquelle Barack Obama a fait campagne l'an dernier. Dans bien des endroits au pays, l'idée du changement était reçue comme une bouffée d'air frais, un peu de bon sens après huit années marquées par l'aveuglement idéologique et l'attitude belliqueuse de l'administration Bush.

Mindy Suman a travaillé durant 25 ans dans une prison de la région. Son emploi lui a enseigné plusieurs leçons, dit-elle, dont celle-ci: les changements qui viennent d'en haut sont rarement utiles aux gens d'en bas.

«Quand la direction de la prison voulait régler un problème, elle mettait en place un nouveau programme, explique-t-elle, assise sur le siège du salon de coiffure. Sur le terrain, ça compliquait notre travail, et bien sûr, ça ne réglait rien. C'est ce qu'Obama est en train de faire. Je crois qu'il a de bonnes intentions, mais je suis certaine que ça ne réussira pas.»

»Nous allons bien voir»

LouAnn Smith ne croit pas qu'Obama était prêt a prendre les rennes du pays quand il a été élu, voilà un an. «Je pense qu'il se familiarise avec son nouveau poste. Nous allons bien voir s'il sera capable de faire tout ce qu'il a promis.»

À la tête d'une petite entreprise, mère de famille, Mme Smith est l'incarnation même de la citoyenne qu'Obama souhaite aider en adoptant un programme public d'assurance santé.

Le système de santé américain, dit-elle, est en crise. Au cours de la dernière année, ses paiements pour sa propre police d'assurance privée ont doublé, passant de 300 à 600$ par mois.

Pourtant, Mme Smith estime qu'un programme public ne pourrait améliorer les choses.

«Présentement, il faut travailler pour pouvoir se payer l'assurance santé. Si le gouvernement assure tout le monde, pourquoi alors chercher du travail? Des millions de personnes vont vivre aux crochets du système.»

Elle plie un petit morceau de papier d'aluminium et l'applique sur la tête de sa cliente.

«Je ne suis pas d'accord avec les politiques d'Obama, mais je le respecte, ajoute-t-elle. Il est notre président. Nous voulons qu'il réussisse. S'il échoue, cela voudra dire que notre pays échoue également. Personne ne peut souhaiter ça.»

Fox News en boucle

À Crawford, ce sont les adolescents et les jeunes adultes qui sont les plus susceptibles d'appuyer Obama. C'est le cas de Matt Green, 17 ans, étudiant et membre de l'équipe de football locale. Il n'a pas pu voter aux dernières élections, mais il compte bien le faire en 2012.

«Les gens ici sont républicains parce que toute leur famille est républicaine», dit-il, appuyé contre une Toyota Corolla rouge qui a connu des jours meilleurs.

«Bien des gens n'écoutent que Fox News. C'est la norme. Si vous pensez autrement, les gens vous trouvent étrange.»

Il dit avoir de bons souvenirs des milliers de manifestants qui sont descendus à Crawford, il y a quelques années, pour camper durant un été. Les militants voulaient rencontrer George W. Bush. Ils sont repartis bredouilles.

«Il y avait de l'action. Aujourd'hui, c'est redevenu calme. Pour dire vrai, les gens ne parlent pas beaucoup de politique ici.»

Désormais, le convoi composé de limousines transportant George W. Bush à travers le village à vive allure n'est plus qu'un souvenir. Les dignitaires étrangers ne vont plus au restaurant Station-Café. Le magasin de souvenirs a fermé ses portes. Mais l'affiche montrant Bush et sa femme, Laura, est toujours postée à l'entrée du village. Elle est délavée par le soleil et les herbes hautes menacent de la faire disparaître.

Un nouveau président occupe la Maison-Blanche. Et il est peu probable qu'il passe un jour par Crawford.

Pour M. Owens, Obama a du pain sur la planche. «Obama a séduit la population l'an dernier. On va voir ce qu'il va véritablement accomplir. Je lui souhaite bonne chance.»