Pendant que leur président visitait l'Europe, des douzaines de groupes islamistes pakistanais - dont certains qualifiés de terroristes - ont été reçus en sauveurs par les sinistrés.

L'aile humanitaire du parti Jamaat-e-Islami, qui prône la réconciliation avec les talibans, dit avoir nourri des milliers de personnes.

Un autre réseau (Jamaat-ud-Dawa), accusé de servir de façade à un groupe favorable à la guerre sainte, a mis sur pied trois camps de réfugiés et des cliniques ambulantes. Il prétend avoir aidé 250 000 personnes.

Banni par le gouvernement, un troisième groupe (Sipah-e-Sahaba) distribue des biens et des vivres. Au total, des dizaines de milliers de militants sillonnent le pays depuis trois semaines.

«Ces groupes ont l'avantage de la proximité, indique Sami Aoun, professeur de science politique à l'Université de Sherbrooke. Ils peuvent être plus dynamiques et énergiques parce qu'ils se collent directement aux gens.»

L'armée pakistanaise a elle aussi été applaudie par la population. «Mais à l'opposé, le gouvernement pakistanais n'est pas très efficace. La bureaucratie est lourde, et il y a de la corruption», souligne le professeur Aoun.

«C'est un phénomène bien connu, dit-il. Devant la faiblesse ou la performance médiocre de certains États, d'autres réseaux, dont les islamistes, viennent combler le vide. On l'a vu durant des séismes en Égypte. Ou encore au Liban, où beaucoup de réseaux islamistes comme le Hezbollah se montrent plus efficaces que l'État central.»

Inquiet, le conseiller de l'administration Obama pour l'Afghanistan et le Pakistan, Andrew Cordesman, a sonné l'alarme cette semaine. Les inondations ont surtout touché les populations les plus pauvres, qui sont particulièrement vulnérables à l'endoctrinement. Cela pourrait rendre «le Pakistan encore plus vulnérable à l'extrémisme» et ainsi «renforcer la menace terroriste», a déclaré M. Cordesman.

«Ces groupes sont en effet très efficaces. Ils ne demandent pas de soutien immédiatement, mais quand la crise sera finie, ils reviendront sûrement chercher leur kilo de chair», dit en entrevue l'ex-journaliste pakistanaise Najma Sadeque.

Les craintes des Américains se concrétiseront-elles? «Cela peut légitimer ces groupes politiques auprès de la population, mais pas la radicaliser puisqu'on ne parle pas ici d'une guerre mais d'un désastre naturel», répond le politologue Ramesh Thakur, professeur à l'Université de Waterloo en Ontario.

«Ils vont paraître plus performants, plus crédibles, affirme de son côté le professeur Aoun. Mais la population va constater à long terme qu'elle compte plutôt sur l'État pour assurer l'ordre.»

«D'habitude, dit-il, l'aide apportée par ces groupes leur profite jusqu'à ce qu'ils arrivent eux-mêmes au pouvoir et qu'ils se cassent les dents, comme c'est arrivé au Soudan ou en Irak. Alors les gens se mettent à leur demander des comptes à eux aussi.»

Quant à l'aide américaine - augmentée à 55 millions -, elle peut faire contrepoids. Mais pas forcément. «C'est frappant de voir comment un aussi grand pourvoyeur d'aide peut être aussi mal perçu, conclut Sami Aoun. Les gens soupçonnent souvent que derrière l'aide, il y a un désir de domination.»