«Bien Venue», dit l'affiche plantée à l'entrée de Sharpeville. Une belle attention, malgré le français approximatif, pour les joueurs de la Côte-d'Ivoire, qui se sont entraînés au stade du township pendant la première ronde de la Coupe du monde. Mais qui logeaient dans un hôtel confortable de la ville afrikaner voisine, Vereeniging.

«Ils n'ont même pas visité le township, encore moins le monument commémoratif du massacre de Sharpeville... pourtant, si ce n'était ces gens tués dans la lutte pour la liberté, il n'y aurait pas de Coupe du monde en Afrique du Sud!» s'emporte Tsoana Nhlapo, de Sharpeville First, un organisme voué à préserver l'héritage de ce township situé à 70 kilomètres au sud de Johannesburg.

 

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Mme Nhlapo a du pain sur la planche. Sharpeville est un township riche en histoire, mais pratiquement à l'abandon.

Éliminés hier, les joueurs ivoiriens ignorent peut-être qu'ils se sont entraînés dans le stade où Nelson Mandela a signé la nouvelle Constitution de l'Afrique du Sud, en 1996.

On ne pourrait pas leur en vouloir. Une grande bannière de vinyle avait été déployée dans le stade pour commémorer cet événement historique. «Mais elle s'est envolée après quelques années, dit Mme Nhlapo. On n'a jamais pris la peine de la remplacer.» Il ne reste qu'un cadre rouillé.

Avec Soweto, Sharpeville est l'un des deux berceaux de la lutte pour la libération de l'Afrique du Sud. Mais la notoriété du premier township n'a rien à voir avec celle du second, oublié jusque dans les guides de voyage. Dans une récente édition du Lonely Planet, le massacre de Sharpeville - au cours duquel 69 manifestants ont été abattus par la police de l'apartheid - est évacué en un paragraphe, qui se conclut en prévenant que «les visiteurs ne trouveront rien de particulier à voir ou à faire» dans le township.

«C'est le Mondial, et nous soulignons cette année le 50e anniversaire du massacre de Sharpeville. On devrait avoir des tas de touristes», se désole Mme Nhlapo. Le centre d'exposition relatant les années troubles du township est presque vide. «À Soweto, le monument commémoratif Hector Pieterson (rappelant le soulèvement de 1976) est magnifique. Ici, on aimerait bien que ce soit rénové. Le gouvernement n'en fait pas assez pour faire connaître Sharpeville», dit Alice Moalosi, qui accueille les rares visiteurs au centre.

Comment expliquer ce peu d'engagement des autorités? Pour Mme Nhlapo, ce n'est pas un mystère: la manifestation de 1960 avait été orchestrée par le Congrès panafricain, (PAC), une formation rivale du Congrès national africain (ANC), au pouvoir depuis la fin de l'apartheid. «On en paie toujours le prix, dit-elle. Il y a un dicton africain qui va comme suit: quand deux éléphants se battent, l'herbe est piétinée. Nous sommes l'herbe.»