Peu d'experts de l'Irak l'avaient vu venir. Détrôné en 2005 de son poste de premier ministre parce que les Irakiens voyaient en lui le chien de poche des États-Unis, Iyad Allaoui a fait un retour fracassant lors des élections du 7 mars et pourrait bientôt reprendre les rênes du gouvernement. Portrait d'un médecin qui aimerait être le remède de l'Irak.

Chiite laïque, prônant la déconfessionnalisation de la politique irakienne, Iyad Allaoui serait probablement le dernier à parler de réincarnation. Pourtant, en regardant son parcours, difficile de ne pas penser que le chirurgien de 64 ans, aujourd'hui aspirant au poste de premier ministre de son pays, a déjà eu plus de vies qu'un chat.

 

Né dans une grande famille bourgeoise de Bagdad qui, pendant des générations, a fourni à la monarchie des tonnes de dignitaires, il était encore adolescent quand il s'est joint au mouvement Baas qui prônait le socialisme.

Compagnon de route de Saddam Hussein, il l'a accompagné dans sa quête du pouvoir pendant un temps avant de se retourner contre lui.

En exil en Grande-Bretagne dès les années 70, Iyad Allaoui est devenu chirurgien avant de devenir... patient. Un attentat à la hache perpétré contre lui en 1978 par deux présumés agents de Saddam Hussein dans sa maison de Kingston-sur-la-Tamise a presque eu raison de lui. Remis sur pied après un an de soins intensifs, il s'est lancé dans une longue croisade contre le dictateur irakien, s'alliant dans sa quête avec les services secrets américains et britanniques.

«Petit Saddam»

Dans le secret, il a recruté des officiers bassistes qui mettaient en doute l'autoritarisme de Saddam Hussein. L'organisation qu'il a créée, le Mouvement de l'entente nationale, a tenté de renverser le leader en 1996, mais, infiltrée, elle a connu un échec sanglant.

Déçu d'avoir été abandonné par la CIA et le MI6, Iyad Allaoui a boudé pendant un certain temps ses anciens alliés, mais lors de l'invasion américaine commandée par George W. Bush, il était de retour dans les bonnes grâces. En 2004, il a été nommé premier ministre du gouvernement de transition.

Appelés aux urnes l'année suivante, les Irakiens lui ont montré la porte. Ancien bassiste pour certains, surnommé «Petit Saddam» en référence à son obsession pour la sécurité, marionnette des Américains pour d'autres, il est arrivé troisième au premier scrutin post-Saddam. Beaucoup d'experts l'ont alors cru hors jeu, mais c'était mal le connaître. «Beaucoup de gens ont été surpris par son retour, mais il faut dire qu'il avait beaucoup de cartes dans son jeu», note Julien Saada, coordonnateur de l'Observatoire du Moyen-Orient de la chaire Raoul-Dandurand de l'Université du Québec à Montréal.

Le jeu des alliances

Prônant un gouvernement laïque et réclamant l'arabité de l'Irak face à l'influence sans cesse grandissante de l'Iran, Iyad Allaoui a réussi à rallier beaucoup d'Irakiens à sa cause. «Il a notamment joué la carte du gouvernement séculier non sectaire qui a rassuré beaucoup d'Irakiens, qui en ont assez de la guerre civile», explique M. Saada.

Ainsi, même s'il appartient lui-même à la communauté chiite, il a reçu d'importants appuis dans la communauté sunnite.

Le 7 mars, la liste électorale Iraqiya qu'il dirige a raflé 91 sièges, reléguant l'actuel premier ministre Nouri al-Maliki et son Alliance de l'État de droit au deuxième rang avec 89 sièges. Les deux hommes doivent maintenant faire des alliances afin d'obtenir les 163 sièges nécessaires pour prendre le pouvoir. Et tous les coups sont permis. Les supporteurs de Nouri al-Maliki espèrent notamment que les anciennes vies d'Iyad Allaoui - tour à tour bassiste, exilé, putschiste et pro-américain - reviendront le hanter. Dans l'Irak d'aujourd'hui, elles peuvent aussi jouer en sa faveur.