Des Chinois intéressés par les terres agricoles québécoises? Le phénomène est perçu avec surprise et suspicion. Mais cette possible arrivée d'investisseurs agricoles étrangers au Québec ne peut être comparée à l'invasion que subissent, par exemple, les pays africains. Et les producteurs québécois vont eux aussi cultiver des terres à l'étranger pour nourrir leur clientèle du Nord.

«Les Chinois veulent peut-être venir ici. Mais nous aussi, on va en Chine!»

Gerry Van Widen, le plus gros producteur de légumes frais du Canada, ne vend pas encore ses salades aux Chinois. Mais il s'est rendu en Chine quelquefois. Par curiosité, pour apprendre. L'achat de terre en Chine communiste est évidemment impossible. Mais une location? Un transfert de connaissances? Un jour, peut-être...

L'intérêt de financiers chinois pour les terres agricoles québécoises, évoqué l'automne dernier dans la revue Commerce et relancé la semaine dernière à Radio-Canada, en fait sourciller plus d'un. Des producteurs agricoles ont été sollicités par des agents immobiliers représentant des investisseurs chinois désireux d'acquérir quelque 40 000 hectares de terres agricoles, soit environ un cinquantième des terres cultivables du Québec. Il y a eu plusieurs communications, mais aucune transaction n'aurait encore été signée.

Doit-on s'en inquiéter? «Il ne faut pas y voir le signe que ce mouvement au Québec est le même que celui qui s'opère en Afrique», dit le professeur Guy Debailleul, du département d'économie de l'Université Laval, grand observateur de la scène agricole mondiale.

D'abord, il n'y a pas tant de terres au Québec, fait remarquer M. Debailleul. Ensuite, la loi québécoise limite la possibilité que des intérêts étrangers obtiennent la mainmise sur des terres. «Pour pouvoir acheter une terre au Québec, il faut au moins être résident permanent. Ce qui veut dire qu'on ne peut pas s'attendre à de grands mouvements de spéculation de la part de compagnies étrangères.»

Ce qui n'est pas le cas ailleurs dans le monde. L'Arabie Saoudite, à elle seule, possède 1,6 million d'hectares de terres en Indonésie. Guy Debailleul a observé en Afrique comment les paysans, qui ne possédaient pas la terre qu'ils cultivaient, ont été évincées par des entreprises internationales qui ont obtenu des baux emphythéotiques de 99 ans, «ce qui n'est pas loin de l'achat».

«J'ai discuté avec des gens qui m'ont parlé de projets libyens au Mali qui portaient sur 200 000 hectares, dit le professeur. Des sociétés brésiliennes qui produisent de la canne à sucre pour l'éthanol s'installent au Mozambique... pour pouvoir exporter en Suède! On voit que les terres africaines sont complètement détournées de la production alimentaire.»

Le Nord s'est protégé

De ce côté-ci de la planète, les États-Unis et le Canada ont commencé à se protéger dès les années 40 contre l'achat de terres agricoles par des étrangers ou des sociétés. Les lois ont été renforcées après la crise alimentaire de 1974. Cette année-là, les États-Unis avaient été les premiers à balayer les règles du commerce mondial en interdisant l'exportation des aliments produits sur leur territoire. En 2008, lors de la dernière crise alimentaire, la Thaïlande, le Vietnam, l'Inde et l'Argentine ont aussi gardé les denrées produites par leurs terres, peu importe à qui elles appartenaient.

Reste la crainte d'utilisation de citoyens canadiens comme prête-noms pour mettre la main sur un investissement promis à un bel avenir. «Dans les documents de fonds de placement, des analyses désignent les terres agricoles comme une importante source de plus-value dans les décennies qui viennent à cause de la forte demande alimentaire, dit Guy Debailleul. Comme si ce qu'on a connu en 2008 avec l'explosion des prix devait devenir récurrent. Comme le prix de la terre est corrélé au prix de la nourriture, si on fait le pari que les prix des aliments vont augmenter, la terre va prendre de la valeur.»

Mais la plus grande menace qui pèse sur les terres agricoles québécoises ne proviendrait pas des financiers étrangers, mais bien de la construction de maisons et de centres commerciaux sur ses meilleures parcelles. L'automne dernier, dans la revue Commerce, le professeur de géographie Claude Marois, de l'Université de Montréal, a écrit: «Par habitant, les Québécois possèdent un des nombres de magasins et de centres d'achats les plus élevés du monde...»

***

Quelques chiffres

- L'Arabie Saoudite possède environ 1,6 million d'hectares de terres en Indonésie, soit à peu près l'équivalent des trois quarts des terres cultivées au Québec!

- Les Émirats arabes unis et l'Arabie Saoudite sont également propriétaires de 1,4 million d'hectares, notamment au Pakistan et au Soudan.

- En Tanzanie, 11 millions d'hectares sont entre les mains de sociétés internationales qui cultivent des plantes destinées à produire des biocarburants pour l'exportation.

- À Madagascar, la population a empêché le gouvernement de louer à la société sud-coréenne Daewoo, pour 99 ans, plus d'un million d'hectares de terres où l'on aurait produit du maïs destiné à la Corée du Sud.

Source: «Main basse sur les terres agricoles», Guy Debailleul, Journal des alternatives, 2009.