Peut-on tourner la page sur le premier coup d'État en Amérique latine depuis 20 ans? C'est ce que propose de faire Porfirio Lobo, élu à la fin du mois de novembre à la présidence du Honduras. Quand il prendra le pouvoir, le 27 janvier prochain, il entend offrir l'amnistie au président déchu, Manuel Zelaya, ainsi qu'à ceux qui l'ont destitué par la force le 28 juin dernier. Cette amnistie pourrait aussi avoir comme résultat de blanchir ceux qui ont bafoué les droits de la personne dans les jours qui ont suivi le coup d'État, alors que les récits des abus commis par l'armée et la police commencent à peine à émerger, a constaté notre journaliste.

Les yeux noirs de Wendy Elizabeth Avila, qui sourit à l'appareil photo, racontent à eux seuls une histoire. Celle d'une étudiante en droit de 24 ans qui rêvait de se battre pour le Honduras. Malheureusement, ces yeux se sont éteints le 27 septembre après que la jeune femme eut participé à une manifestation contre le coup d'État qui a ébranlé son pays.

 

Rencontré au quartier général de la Resistencia - le mouvement populaire qui continue de s'opposer au renversement du président Manuel Zelaya -, Edwin Espinal, le mari de Wendy, avale difficilement sa salive en racontant ce qui est arrivé à sa femme.

Étudiants tous les deux, ils s'étaient peu intéressés à la politique avant le coup d'État du 28 juin. Mais dès qu'ils ont su que le président élu avait été expulsé du pays par l'armée, ils se sont joints aux milliers de personnes qui manifestaient leur désaccord. «À partir de ce jour-là, nous étions ensemble dans la rue tous les jours», témoigne en anglais le trentenaire endeuillé.

Quand, le 21 septembre, Zelaya est rentré au pays en catimini avant de se réfugier dans l'ambassade du Brésil, les jeunes mariés et des centaines de leurs pairs ont planté leur tente à quelques pas de là, en signe de soutien au président déchu. En pleine nuit, les forces de l'ordre ont lancé des gaz lacrymogène sur le campement. Les poumons de Wendy, asthmatique, ont mal réagi, mais il était impossible de s'approcher d'un hôpital, où les militaires espéraient appréhender les manifestants blessés, raconte Edwin Espinal.

Cinq jours plus tard, quand Wendy s'est rendue à l'hôpital, elle n'avait plus que quelques heures à vivre. En annonçant sa mort, le médecin a affirmé que la jeune femme avait succombé à la grippe A (H1N1). La famille de Wendy n'en croit pas un mot. La jeune femme n'avait aucun symptôme de grippe.

Trop de gaz lacrymogène? Edwin Espinal ne le saura jamais. Les autorités ont refusé de pratiquer une autopsie. Néanmoins, le jeune veuf essaie d'obtenir réponses et réparation à la suite de la mort de son amoureuse. «Je vais me battre jusqu'à la fin pour Wendy», lance-t-il, la gorge nouée.

Suspects: police et armée

L'armée et le gouvernement de facto ne prêtent aucune attention à l'affaire. Pourtant, bien avant le 27 septembre, plusieurs organisations internationales, dont la Commission interaméricaine sur les droits de la personne (IACHR), Amnistie internationale et Human Rights Watch, avaient mis en garde les autorités du Honduras contre l'utilisation répétitive et abusive du gaz lacrymogène et de la force pour disperser les manifestants.

Pour le Comité des familles des personnes disparues et emprisonnées du Honduras (COFADEH), l'histoire de Wendy n'est que la pointe de l'iceberg des violations des droits de la personne par les forces de l'ordre depuis le coup d'État.

Dans les bureaux de COFADEH, où les employés recueillent chaque jour des dizaines de témoignages, les photos de six autres personnes figurent à côté de celle de Wendy. Toutes ont été tuées au cours des quatre derniers mois. Dans tous les cas, la police ou l'armée sont les principaux suspects.

Un autre cas célèbre est celui du jeune Isis Obed Murillo. Âgé de 19 ans, il a été tué par balles le 5 juillet lors d'une manifestation à l'aéroport de Tegucigalpa. Des caméras ont capté sa mort sur le vif. Selon ce qu'a pu apprendre l'IACHR, l'enquête sur sa mort a démontré que les projectiles provenaient des militaires. Ces conclusions ont vite été rejetées par les supérieurs des enquêteurs, peut-on lire dans le rapport de l'IACHR.

»En toute impunité»

Patronne du COFADEH, Bertha Oliva soupire en parlant des événements des derniers mois. Elle a fondé l'organisme quand son mari a disparu aux mains de la dictature, dans les années 80. «Dans la première décennie de notre travail, le pays était une zone militaire. Des centaines de personnes ont disparu. Notre travail était de démasquer ceux qui avaient fait ça, se rappelle-t-elle. Ce n'est pas le cas cette fois. Tout se fait dans la lumière du jour. Ça nous indique que l'armée, la police et l'État pensent qu'ils peuvent tuer et torturer en toute impunité», explique la femme aux cheveux d'ébène.

Le rapport de l'IACHR appuie ses dires. Les émissaires de cette commission liée à l'Organisation des États américains ont trouvé plusieurs raisons de s'inquiéter quand ils ont visité le Honduras à la fin août. Fermetures répétées d'importants médias, couvre-feu appliqué de manière arbitraire et détentions abusives font partie des reproches adressés aux autorités honduriennes. Le rapport préliminaire, qui devrait être suivi d'ici à deux semaines d'un document définitif, fait aussi état de deux disparitions inexpliquées. Ce rappel des années de l'ancienne dictature donne froid dans le dos aux militants des droits de la personne.

 

Les méfaits de la résistance

Amnistie internationale n'a pas répertorié les méfaits commis par les membres de la résistance au Honduras car l'organisme s'intéressait aux exactions des autorités. Cela dit, la Commission interaméricaine sur les droits de la personne en a dénombré quelques-uns. Y compris un restaurant et un autobus incendiés et des violences à l'égard de journalistes en faveur du coup d'État.