Un Canadien qui a été torturé à l'étranger peut-il poursuivre ses tortionnaires devant la justice canadienne?

Oui, affirme Stephan Hashemi, le fils de la photographe canado-iranienne Zahra Kazemi qui a été torturée à mort durant l'été 2006, dans une prison de Téhéran.

Non, rétorquent les avocats d'Ottawa, et aussi ceux de Téhéran, selon qui la Loi canadienne sur l'immunité des États place les pays étrangers à l'abri de la justice canadienne, même en cas de torture.

 

Sauf que cette loi est inconstitutionnelle et contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés, répliquent les représentants de Stephan Hashemi.

Six ans après la mort tragique de sa mère, Stephan Hashemi a entrepris hier, devant la Cour supérieure du Québec, ce qu'il décrit comme son «ultime recours» pour obtenir justice. Il poursuit le gouvernement iranien, son guide suprême, l'ayatollah Khamenei, et deux responsables de la justice iranienne.

Stephan Hashemi avait 26 ans à la mort de sa mère. Il en a 32 aujourd'hui. S'il réclame 17 millions en dommages et intérêts, c'est qu'il s'est résolu à utiliser «le seul langage que l'on comprend à Téhéran, celui de l'argent», a-t-il expliqué hier, en marge de la première journée d'audience de sa cause, au palais de justice de Montréal.

Stephan Hashemi a l'appui du Centre canadien pour la justice internationale et d'Amnistie internationale. Ces organismes jugent que le Canada offre une immunité trop généreuse aux États qui maltraitent des Canadiens. Ils espèrent que cette cause permettra de percer des brèches dans cette protection.

Face à eux, les avocats des gouvernements canadien et iranien affirment que la loi est constitutionnelle et conforme aux lois internationales. Et que la cause de Stephan Hashemi est donc irrecevable.

Première étape

Avant de se pencher sur le fond de la poursuite, le juge Robert Mongeon devra donc peser les arguments constitutionnels et décider s'il peut entendre cette cause. Selon les plaignants, la Loi sur l'immunité écorche la protection contre la détention arbitraire garantie par la Charte.

Le débat qui se poursuit cette semaine touche à des «arguments très sérieux, qui ont une portée importante», a souligné le juge Robert Mongeon.

Par le passé, d'autres victimes de torture à l'étranger ont tenté de faire appel à un tribunal canadien pour poursuivre leurs tortionnaires. Le plus célèbre est Maher Arar, ce Canadien qui avait été renvoyé en Syrie où il a été détenu et torturé. Houshang Bouzari, un résidant de l'Ontario, avait tenté de poursuivre Téhéran pour des sévices subis avant son arrivée au Canada. Les deux poursuites ont été rejetées.

Amnistie internationale et le Centre canadien pour la justice internationale croient que la cause de Zahra Kazemi se pose en des termes différents. Et ils espèrent convaincre le tribunal de l'inconstitutionnalité de la Loi sur l'immunité.

Changer la loi

Mais ils croient aussi que pour offrir aux victimes canadiennes un véritable accès à la justice, ce qu'il faut, c'est changer cette loi.

C'est aussi l'opinion du député libéral Irwin Cotler, qui a présenté la semaine dernière, aux Communes, un projet de loi privé afin de modifier la Loi sur l'immunité des États.

Appuyé par des députés de tous horizons, y compris du Parti conservateur, le projet de loi C-483 offrirait un recours civil aux victimes de «crimes internationaux particulièrement haineux, comme la torture», explique Irwin Cotler.

Ce dernier trouve que la loi actuelle, qui prévoit des exceptions à l'immunité pour des crimes de nature commerciale, est parfaitement absurde. Si Maher Arar ou Stephan Hashemi avaient été victimes d'une rupture de contrat, ils auraient pu intenter une poursuite - mais comme victimes de torture, ils ne le peuvent pas.

Si jamais le projet de loi était adopté, le fils de Zahra Kazemi et les autres victimes de torture n'auraient plus à se battre pour obtenir le droit de poursuivre. Ils pourraient poursuivre, point, fait valoir Irwin Cotler.

Ce dernier souligne que les victimes de sévices ne cherchent pas tant à obtenir de l'argent qu'à établir clairement la responsabilité de leurs tortionnaires.