Une grande brune filiforme entre dans le bureau du grand patron d'une entreprise québécoise. Coiffée, maquillée, tirée à quatre épingles, l'habituée des défilés de mode se lance dans sa grande demande. «Nous avons besoin de 2500 $ pour refaire le toit de la radio communautaire que nous mettons sur pied au Burkina Faso.» Elle repart avec un chèque.

Ainsi travaille Jasmine Legault, mannequin de profession et fondatrice de l'organisation humanitaire Maât. «Ce n'est pas compliqué. Si tu veux quelque chose, mets tes talons hauts et va le chercher», explique Jasmine Legault, consciente que la technique de collecte de fonds qu'elle pratique avec les membres de son organisation détonne dans le milieu humanitaire canadien.

Les longues demandes de subvention, ce n'est pas pour elle. «Je n'ai pas peur de l'argent. Je me suis promenée en jet privé et j'ai bu du (champagne) Cristal Rose. J'adore ça. Je ne suis pas intimidée par l'argent. Je n'ai pas peur d'en demander, surtout quand c'est pour soutenir une cause juste», ajoute, candide, la très jolie femme de 30 ans qui gagne sa vie sur les passerelles depuis l'âge de 17 ans.

La «cause juste» qu'a choisie Maât est celle des jeunes filles qui deviennent mères avant d'atteindre la vingtaine. Les Nations unies estiment qu'elles sont 13 millions à vivre la maternité à la sortie de l'enfance chaque année. Les pays de l'Afrique subsaharienne ainsi que l'Afghanistan et le Népal sont les plus durement touchés par le phénomène. L'Amérique latine, l'Inde et plusieurs pays d'Asie du Sud-Est, dont l'Indonésie et la Thaïlande, suivent de près. Dans ces pays, de 10 % à 20 % des nouvelles mamans sont des adolescentes.

«La plupart du temps, ces jeunes mères abandonnent leurs études. Elles pensent que leur vie est terminée. Elles sombrent dans la pauvreté», raconte Jasmine Legault.

Trois projets

Son message et sa méthode de financement semblent particulièrement efficaces : en deux ans, Maât a amassé 170 000 $ et soutient déjà trois projets sur autant de continents : une garderie à Port-au-Prince, en Haïti, qui, dès cet automne, offrira une formation professionnelle aux jeunes mères pour les aider à augmenter leur autonomie financière ; une radio communautaire à Kénédougou, au Burkina Faso, qui donnera la parole à plus de 500 femmes ; et un projet de formation professionnelle pour les mères adolescentes dans l'île d'Ometepe, au Nicaragua.

«La meilleure manière de briser le cercle de la pauvreté dans plusieurs pays est de permettre aux jeunes mères d'obtenir un emploi décent», note Jasmine Legault, qui est mordue de développement international depuis l'adolescence.

À 14 ans, cette native de Saint-Donat avait participé à un projet de coopération en République dominicaine. Elle a maintes fois répété l'expérience depuis.

«Un des avantages de mon emploi de mannequin, c'est que ça me laisse du temps libre. J'en ai profité pour faire des séjours prolongés dans plusieurs pays, dont le Bénin et le Togo. À mon retour, je me suis dit que je voulais que tout ça fasse partie de ma vie de tous les jours.»

Elle a tenté de trouver sa place dans une ONG existante. «Tout était trop compartimenté.» Elle ne voulait pas faire seulement de la collecte de fonds ou du marketing. Elle voulait aussi participer aux projets eux-mêmes. Pousser à la roue. Voyager.

Une mobilisation à la mode

Jasmine Legault aimerait aussi montrer de quoi est capable le milieu de la mode. Certes, reconnaît-elle, peu de ses collègues se lèvent le matin en pleurant sur le sort des enfants-soldats de l'Ouganda, mais son expérience lui a démontré qu'il est facile de les mobiliser. «Il y a beaucoup d'enthousiasme. Lors de la dernière soirée de collecte de fonds que j'ai organisée, j'avais 80 bénévoles», remarque la jeune femme.

Elle veut canaliser la bonne volonté décelée parmi ses pairs en mettant sur pied une nouvelle organisation : Model For Real (De vrais modèles). Elle veut convaincre les Linda Evangelista de ce monde - qui ne «se lèvent pas le matin pour moins de 10 000 $» - de donner 0,7% de leur salaire au développement international. «Aucun pays riche ne le fait, mais nous, on réussira peut-être», ironise l'humanitaire en talons hauts.