Dans une entrevue diffusée par le réseau NBC cinq jours après les attentats du 11 septembre 2001, le vice-président Dick Cheney tient ces propos désarmants de Franchise.

«Nous devons agir dans l'ombre, nous devons libérer les services de renseignement de toute contrainte», dit-il en expliquant les moyens que Washington compte déployer pour combattre le terrorisme.

Cette déclaration, passée inaperçue à l'époque, est un peu le point tournant à partir duquel Washington s'engage sur le chemin de la torture, constate un documentaire diffusé depuis cette semaine sur Internet.

Voyez le documentaire en cliquant ici.

Le recours à la torture a été orchestré de haut, planifié et systématique, note la journaliste Marie-Monique Robin, réalisatrice de «Torture made in USA», qui démonte les rouages du système de sévices infligés aux détenus dans les prisons américaines en Irak, en Afghanistan et à Guantanamo.

À défaut de révélations fracassantes, son documentaire contient plusieurs témoignages inédits. Mais surtout, il permet de décortiquer la mécanique qui a permis aux dirigeants des États-Unis de légitimer des pratiques telles que le simulacre de noyade et des dizaines d'autres supplices, pourtant interdits tant par les lois américaines que les traités internationaux.

Surprise

En se lançant dans son enquête, Marie-Monique Robin, auteure du «monde selon monsanto», savait qu'elle entrait en zone trouble. «Mais j'ai été surprise par l'ampleur du programme de torture, et par son caractère systématique», confie-t-elle.

Jointe à la Nouvelle Orléans où elle travaille ces jours-ci sur un reportage au sujet de la pollution alimentaire, la journaliste raconte comment elle avait décortiqué 80 heures de témoignages devant des commissions publiques américaines. Et comment elle avait dû pousser fort pour obtenir certains de ces témoignages, comme celui de Matthew Waxman, chef de cabinet de l'ex-conseillère à la sécurité publique Condoleeza Rice. Ou alors celui du général Ricardo Sanchez, ex-commandant des forces américaines en Irak.

«Je reconnais que nous avons maltraité des gens», dit ce dernier, visiblement ému, dans un témoignage inédit où il prend la responsabilité de ces actes de torture.

«Dès le début, nous savions que nous devions nous salir les mains», affirme de son côté Matthew Waxman.

À partir de là, comment l'administration Bush allait-elle s'y prendre pour mettre en place la machine de la torture? D'abord, en faisant appel à une armée de juristes qui allaient conclure que les protections des conventions de Genève ne s'appliquent pas aux combattants d'Al Qaeda.

Puis, en faisant appel à des autorités médicales qui allaient cautionner les sévices. Et enfin, en faisant la promotion des mauvais traitements.

«Je pense que vous traitez trop bien vos prisonniers», dit le général Geoffrey Miller, responsable de la prison de Guantanamo, en visite à la tristement célèbre prison d'Abou Ghraïb. Son message a été bien entendu...

Résistances

Le documentaire de Marie-Monique Robin met aussi en lumière les résistances qui existaient, même chez les républicains, contre ces glissements successifs.

Des agents du FBI ont été révulsés de voir le traitement infligé aux prisonniers de Guantanamo, par exemple. Mais ces voix ont été progressivement neutralisées.

«Plusieurs témoins étaient meurtris par ce qu'ils avaient vu, ils se demandaient: comment mon parti a-t-il pu faire ça?» dit la journaliste.

À qui revient la responsabilité ultime de la torture? Le documentaire pointe vers le vice-président Dick Cheney. Et George W. Bush? «Quand je leur posais la question, certains éclataient de rire, comme si bush n'était qu'une marionnette», dit la documentariste.

Ce que celle-ci retient surtout de son reportage, c'est que des actes criminels peuvent trouver une justification, même dans régime démocratique. «Je crois que mon film a une portée une universelle, car aucun pays n'est à l'abri.»

Sur la toile seulement

«Torture made in USA» n'a pu trouver de télédiffuseur pour des raisons financières - principalement à cause du coût des droits de diffusion des archives publiques américaines. Le documentaire sera accessible pendant deux mois, gratuitement, sur le site français Mediapart.