Le match éliminatoire de la Coupe du monde a eu lieu dans un stade comble. Les équipes nationales de la Turquie et de l'Arménie étaient au rendez-vous. Cependant, les athlètes savaient pertinemment que l'enjeu du match auquel ils prenaient part n'était pas sportif, mais politique. Et que l'essentiel du match se déroulait loin du terrain, dans les gradins.

Le match de soccer de mercredi, qui a eu lieu dans la ville turque de Bursa, était en quelque sorte le test populaire d'un traité de réconciliation signé par les chefs d'État des deux gouvernements à Zurich samedi dernier. Ennemis jurés depuis près d'un siècle, l'Arménie et la Turquie veulent remettre sur les rails leurs relations diplomatiques et rouvrir leur frontière, cadenassée depuis 1993.

Conséquemment, la plupart des médias qui ont couvert le match de mercredi soir qui avait lieu dans la ville turque de Bursa se sont peu intéressés au score. La Turquie a gagné 2 à 0, mais cette victoire n'avait aucun impact, les deux pays étant déjà éliminés dans le cadre des qualifications de la Coupe du monde.

Les journalistes ont plutôt gardé les yeux sur les spectateurs. «Une minorité de spectateurs ont sifflé lors de l'hymne national arménien», a rapporté l'un d'eux. «Des pierres ont été lancées sur l'autobus des joueurs arméniens», a rapporté un autre. «Les athlètes arméniens ont été hués lors de la présentation dans le stade», a ajouté un troisième.

Malgré ces accrocs, la plupart des observateurs ont jugé que le match avait été un franc succès. «La paix a gagné», a titré hier en une le populaire journal turc Milliyet.

Les autorités avaient craint le pire. Des groupes nationalistes turcs qui s'opposent à l'entente entre les deux pays avaient promis de perturber la manifestation sportive à laquelle ont assisté les présidents des deux pays, Abdullah Gül et Serge Sarkissian.

Ne voulant pas laisser de chance aux protestataires, l'État avait déployé plus de 3000 gardes de sécurité à l'entrée du stade. Selon une correspondante de la télévision française, près de la moitié des 18000 sièges du stade avaient été cédés à des policiers et à des militaires en civil.

Ce dispositif de sécurité illustre à lui seul l'importance qu'accordent au nouveau traité les deux pays qui ont mis neuf ans à s'entendre. «Nous n'écrivons pas l'histoire, nous la bâtissons» ont été les mots du président turc lors de la signature du document le week-end dernier.

Après la signature

Les deux chefs d'État doivent maintenant mener une autre bataille: faire accepter l'accord par leur population et leur parlement respectif.

«Ça ne sera pas facile. Il risque d'y avoir des pas en arrière, mais en même temps, il y a de fortes incitations pour les deux pays. Il y a aussi une forte pression des États-Unis et de la Russie, qui soutiennent l'entente», explique Hugh Pope, expert de la Turquie et du Caucase à l'International Crisis Group. Si l'accord est ratifié, la Turquie gagnera des points auprès de l'Union européenne. L'Arménie, quant à elle, sera désenclavée et gagnera sur le plan commercial.

Parmi les points de litige qui pourraient freiner la ratification se trouvent toujours les deux principales pommes de discorde qui sont à l'origine du conflit turco-arménien, écartées du protocole de réconciliation. D'une part, la reconnaissance par la Turquie du génocide arménien. De l'autre, l'occupation illégale par l'Arménie de territoires de l'Azerbaïdjan, un allié de la Turquie, depuis la guerre du Haut-Karabakh. L'accord de réconciliation met sur pied des comités qui traiteront de ces questions. «C'est un grand pas en avant. L'approche hostile n'a rien donné à ce jour», estime Hugh Pope.